DERRIERE LES CHIFFRES , DES ELECTEURS

Publié le par shlomo

Dimanche 22 avril à vingt heures pétantes, pour paraphraser un spécialiste de la pipolitude[1], les Français découvraient le visage des deux finalistes qui concourront, le 6 mai prochain, pour la magistrature suprême. Et aussitôt, les analystes de tout poil se lançaient dans les calculs et l’exégèse.

Les deux états-majors ont fait leur boulot d’état-major en criant simultanément victoire et les perdants ont joué leur rôle en incriminant le «vote utile», admettant par là-même l’inutilité de leur candidature.

En revanche, au moment d’analyser les chiffres, la rigueur s’est fait porter pâle, avec un mot du docteur. Du coup, des évidences n’ont pas été dites et des idées fausses ont été proférées, que l’arithmétique élémentaire contredit.

Ainsi, la plupart des commentateurs insistent-ils sur le fait que le très bon score de Nicolas Sarkozy a été obtenu en faisant le plein des voix lepénistes, le dirigeant du Front National ayant dégringolé à 10,51% des votes, où l’on croit voir réduit le cœur de son électorat.

Et si l’on comptait par têtes de pipes ?

On verrait alors que les 16,86% que Le Pen avait totalisés au premier tour en 2002 correspondaient à 4,8 millions de bulletins. Comme le nombre de votants a considérablement augmenté en 2007, sa baisse relative (3,82 millions cette fois-ci pour ses 10,44%) correspond en réalité à un million d’électeurs en moins, soit plus ou moins le score de Philippe de Villiers (810 000 voix) qui n’était pas présent il y a 5 ans.

Si l’on veut savoir d’où viennent les voix gagnées par Sarkozy, il faut examiner les résultats du 22 avril à la lumière de ceux des grands blocs du 21 avril 2002. Que sont l’extrême-droite, l’extrême-gauche et les écolos devenus ?

La droite de la droite d’il y a cinq ans (Le Pen, excepté, ce qui laisse, par ordre alphabétique, Boutin, Madelin et Mégret) obtenait 7,44% des suffrages exprimés, soit deux millions de votants. L’équivalent nouvelle mouture se réduit à Philippe de Villiers. Si ces deux millions d’individus sont venus grossir les voix de Nicolas Sarkozy, ils sont loin de rendre compte de la différence entre son score : 11,4 millions de bulletins (31,18%) et celui de Chirac : 5,6 millions (19,88%).

Qui veut gagner des millions ?

En 2002, l’extrême-gauche, elle, capitalisait 5,45 millions de suffrages, soit 19,14%. Ségolène Royal en a recueilli 9,5 millions (25,87%), soit plus du double de Lionel Jospin qui arrivait à 16,18% avec 4,6 millions de supporters.

Le vote «utile» a fait basculer vers la madone rose les voix rouges du passé. Mais le compte n’est bon que si l’on oublie les nouveaux électeurs des cités, qui ont massivement choisi le bulletin socialiste.

Une partie des voix de l’extrême-gauche de 2002 est donc dans la nature. Or la nature a horreur du vide et c’est l’escarcelle de Sarkozy qui s’est remplie.

Avec des voix d’extrême-gauche ? Quelle horreur ! Mais c’est pas du tout ce qui est marqué dans le manuel du petit militant ! Ben non, ce n’est pas dans les rails, mais c’est peut-être une partie de la réalité. «Les exclus, les oubliés et les accidentés de la vie» auxquels le candidat UMP s’est adressé le soir du premier tour ne sont pas forcément des électeurs du Front National!

Et cela ne s’arrête pas là !

Les écologistes aussi ont subi une chute notable : Bové et Voynet n’arrivent pas au million de voix et plafonnent en dessous de 3% à eux deux alors que Lepage et Mamère, avec leurs 2 millions d’électeurs, étaient à 7%.

Où est donc parti ce million supplémentaire ? Et un million de voix, un, pour Sarko ? Peut-être: il arrive que le diable s’habille en Prada et séduise ainsi un électorat inattendu. Inattendu par les médias qui prennent leurs désirs pour des réalités, mais probablement pas inespéré par les électeurs qui vivent au quotidien ce que les médias ne veulent pas voir...

Les mathématiques ont ceci de très frustrant qu’elles ne se laissent pas influencer par la pensée unique ou par les images d’Epinal, fussent-elles martelées pluriquotidiennement sur les ondes.

Qui disait « Les Etats-Unis sont le plus grand fournisseur d’idéologies de la planète et la France en est le plus gros consommateur » ? L’auteur de cette maxime serait conforté dans son opinion en voyant Sarkozy déguisé en Croquemitaine par ses opposants et par les médias.

A tel point qu’un parti transfrontières politiques s’est créé, le TSS « Tout sauf Sarkozy », dont les membres se tiennent chaud grâce à leur certitude d’avoir fusionné l’axe du mal en un seul être. Si Sarkozy venait à manquer, leur enfer serait dépeuplé !

En attendant, pendant que les commentateurs commentent et que les idéologues s’aveuglent, les électeurs réfléchissent, ce qui mobilise leur réflexion et non le seul réflexe auquel on aimerait les conditionner.

Encore de belles soirées électorales en perspective !

Liliane Messika © Primo-Europe, 24 avril 2007.

1 - Stéphane Bern, qui avait intitulé son talk show sur Canal+ «20 heures 10 pétantes»

 
 
Auteur : Liliane Messika
Date d'enregistrement : 24-04-2007

Publié dans FRANCE

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article