LA VICTOIRE SANS CHANTER
53,2 % - 46,8 %. Cette fois-ci, les sondages n’avaient pas menti. Le coup est rude pour la gauche. Sarkozy est Président. Chirac avait dénoncé la fracture sociale pour ensuite mieux l’élargir. Le nouveau Président a du pain sur la planche. Un quinqua aux affaires n'est pas une nouveauté, n'en déplaise aux analystes politiques : Giscard était même quadra en 1974 ! A l’opposé des promesses de son prédécesseur (qui n’avaient engagé que ceux qui y avaient cru), et contrairement aux incantations christiques de sa concurrente du second tour, il avait listé des mesures et des orientations susceptibles, selon lui, de ramener la France dans le peloton de têtes des nations européennes qui la distancent régulièrement depuis plusieurs décennies. Baisse du bouclier d’impôts, réorganisation de l’ANPE, contrôle de l’immigration, réaménagement de la durée hebdomadaire du travail, aide aux entreprises, amélioration de la formation, refonte de la fonction publique… Il est maintenant au pied du mur. Et ceux qui veulent tester ses qualités de maçon sont moins nombreux que les adversaires acharnés à sa perte, fût-ce au détriment du pays tout entier. Soulagés de ne pas avoir à mettre les mains dans le cambouis, certains mauvais perdants ont déjà commencé à encourager leurs supporters des banlieues à se révolter devant le résultat des urnes. Toute occasion étant bonne de faire la fête, on le constate à chaque réveillon, les voitures devraient joyeusement flamber cette nuit dans les « cités ». Mais c’est le 17 mai que les affaires sérieuses démarrent. Dès son entrée à l’Elysée, le nouveau Président devra s’atteler à mettre en œuvre la rupture promise. En interne, dans un pays crispé sur ses conservatismes où chacun espère un changement qui ne touchera que ses voisins, et à l’externe où la popularité de Chirac auprès des seuls pays arabes s’est forgée au détriment de la dignité de la France, de ses valeurs et de ses alliés naturels. L’avance relativement confortable dont bénéficie le vainqueur de cette élection ne lui octroiera peut-être même pas d’état de grâce : la haine couve depuis trop longtemps. Bayrou et Royal s’étaient tous deux présentés comme les chantres de la réconciliation de la France avec elle-même. Apparemment, pour les citoyens, l'heure était plus à l’efficacité qu’à l'introspection. Avec un résultat différent, rien ne prouve que les troubles à court terme auraient été évités, mais tout laisse penser que la politique à long terme aurait été creuse. A Nicolas Sarkozy de montrer, maintenant, sa différence. Ses ennemis sont nombreux et déterminés, ses amis réservés et critiques : personne ne lui a signé de chèque en blanc. La première manche était certainement fatigante, mais ce n’était qu’un sprint. La véritable course commence. Elle durera cinq ans. Sauf si Nicolas Sarkozy ne respecte pas ses échéances : avant la fin 2007, il s’est engagé à faire voter une loi sur le service minimum et une qui infligera des peines plancher aux multi-récidivistes. Tout est question de dosage : s’il faiblit, le pays dévalera la pente sur laquelle il s’est engagé avec Jacques Chirac : la déchéance d’un vieux pays impuissant qui continue de croire à sa force et à sa séduction. S’il appuie trop fort sur l’accélérateur autoritaire, les tenants du Tout-Sauf-Sarkozy ne seront pas les seuls à se révolter : nombre d’électeurs lui ont accordé un vote par défaut, refusant la « poupée qui fait non, non, non-on-on, non » sans pour autant le créditer d’une confiance démesurée. Le Pen avait perdu, en 2002, car 82% des électeurs avaient refusé la haine et la xénophobie qu’il représentait. Chirac, qui ne totalisait que 19% de suffrages, s’est conduit pendant ce quinquennat comme s’il avait réellement été plébiscité par l’immense majorité des Français. Sarkozy ne peut pas se permettre la même erreur. Il doit se garder à droite, se garder à gauche, et avant tout RÉ-U-SSIR. Seule une reprise de la croissance pourra refermer les plaies qui découpent le pays en communautarismes et en corporatismes. Ségolène dans un fortin La perdante du jour va devoir maintenant affronter bien plus que le ressentiment du PS. Elle a suscité trop de haine dans son propre camp pour espérer pouvoir se joindre à la troupe des éléphants, encore moins la cornaquer. Dès 16h30, certaines voix disaient déjà que ce n'est pas la gauche qui est vaincue aujourd'hui, mais Ségolène Royal seule car elle aurait mené le combat seule. Il sera temps de se livrer aux analyses fines à partir de demain matin, mais une gauche inexistante dans le paysage politique actuel n'est pas à proprement parler une excellente nouvelle. Prédire un éclatement définitif du PS n'est pas faire preuve de pessimisme. Dans cette optique, Bayrou disposera alors d'un boulevard pour refonder un parti du centre sur le modèle d'autres mouvements démocrates en Europe. La candidate socialiste ne pourra même pas transformer sa propre Région, le Poitou-Charentes, en camp retranché. Les inimitiés suscitées localement par ses pratiques du pouvoir solitaire vont déclencher contre elle bien des attaques ouvertes ou sournoises, selon le tempérament de ceux qui chercheront à se venger. Les votes en commission permanente, les actions de son Conseil Régional vont se monnayer fort cher en interne. Les caciques de la gauche régionale ont la ferme intention de procéder à un dépeçage en règle, lui faisant payer officiellement l’échec de la gauche, mais officieusement un tempérament dictatorial que le politiquement correct nommait “autoritarisme”. Ce sera bien évidemment injuste, mais il n'y a pas de justice en politique. La candidate défaite est connue pour avoir de la ressource, de la pugnacité et une volonté de fer alliées à une certaine habileté stratégique. Cela suffira-t-il pour contrer les différentes OPA qui vont se succéder sur le plan national et régional ? Le vainqueur du jour, lui, a annoncé qu'après le 6 mai, il prendrait quelques jours de solitude pour méditer sur les enjeux qui l'attendent. © Primo, 6 mai 2007 | ||