VERS UN NOUVEAU LIBAN

Publié le par shlomo


NDLR Primo : Le parti Alliance au Liban a été fondé par Samy Gemayel, fils de l'ex-président Amine Gemayel.

Le discours qui suit a été prononcé à Beyrouth, le 6 avril 2007, à l’occasion de la commémoration du Génocide arméno-syriaque. Une partie de ce discours fut publiée dans l’Orient-Le Jour le 26 avril. L'auteur nous a donné son autorisation pour le publier dans son intrégalité.

Primo est laïque. Il rappelle que la vraie laïcité consiste non pas à lutter contre les convictions religieuses mais à donner à celles-ci tous les moyens pour exister et perdurer dans la liberté, pour autant que ces convictions n'entravent en rien la vie de la cité.

Mettre en évidence cette réalité libanaise permet aussi de prendre conscience du sort des chrétiens sous régime islamique, en Iran, en Irak, à Gaza et plus généralement dans l'ensemble du monde musulman.

Publier ce discours, c'est aussi adresser aux Libanais un message de soutien en leur assurant que le sort de leurs minorités est aussi NOTRE problème.

Shlomo lkoulkhoun

Nous saluons tous les présents et les représentants des Eglises et des différents partis et associations.

Au nom de tous les membres de l’Alliance (voir au sujet de ce parti www.loubnanouna.org ), je vous dit Shlomo et taodi tov pour nous avoir reçu parmi vous afin de commémorer ensemble les tristes événements qui bouleversèrent le Croissant syriaque, l’Arménie et la Cilicie durant la Première Guerre mondiale.

Ce n’est pas exagérer que de reconnaître que ce Génocide nous brisa et que la décadence que nous vivons aujourd’hui n’en est que la résultante la plus directe et la plus logique.

Cependant, nous ne sommes pas là pour nous lamenter ni pour désespérer de notre sort.

Nous autres Chrétiens d’Orient, Arméniens et Syriaques confondus, nous sommes toujours là, au Liban, et nous sommes déterminés à y rester avec toute la foi que cela nécessite.

Partir, c’est trahir les martyrs. Céder, c’est les ignorer et ignorer leurs souffrances et leurs sacrifices. Nous désister de notre identité syriaque ou arménienne, c’est vendre leur sang au plus offrant. En tant que syriaque-maronite, je combattrais cette attitude. En tant que syriaque, je la refuserais. En tant qu’arménien lorsque mon sang syriaque s’est mélangé à celui des Arméniens dans Saipho (le nom donné au Génocide de 1914-1918), je me dresserais contre tout dénigrement, falsification et tout négationnisme de l’histoire et de l’identité.

Ce n’est là que mon simple devoir vis-à-vis de nos ancêtres et de nos martyrs.

On nous a répété depuis toujours que le Liban avait été créé pour tous ceux qui, en Orient, avaient soif de liberté. Et comme le disait Béchir Gemayel, « pour tous, mais surtout pour les Chrétiens en quête de liberté et de sécurité ».

Jamais autant qu’aujourd’hui, les Chrétiens d’Irak ne furent en danger de mort. Ils fuient par centaines de milliers, l’insécurité, les enlèvements, les demandes de rançons et les attentats meurtriers. Seulement 4000 d’entre eux sont actuellement au Liban et demandent l’asile.

L’Etat libanais, qui a reçu 400 000 palestiniens et naturalisé des centaines de milliers d’autres personnes récemment (entre 300 000 et 400 000 Arabes et Kurdes furent naturalisés de la manière la plus inconstitutionnelle par le gouvernement libanais sous l’égide de Damas durant l’occupation syrienne), a refusé à ces Chrétiensd'Irak toute forme de légalisation de leur séjour. On prépare leur expulsion, hommes, femmes et enfants.

Et pourtant les monastères maronites sont suffisamment nombreux pour pouvoir accueillir et loger, non seulement les 4 000 réfugiés actuels, mais tous les Chrétiens d’Iraq qui désireraient se joindre à eux.

Les structures maronites existantes pourraient même leur trouver des emplois à tous. Concierges de monastère ou d’immeuble, sacristains, ouvriers sur les chantiers ou les stations d’essence, médecins, infirmiers et enseignants au sein d’associassions maronites diverses. Tout cela est possible à condition, bien entendu, que l’Eglise syriaque - maronite puisse redécouvrir son devoir et sa mission chrétienne.

L’abandon des autres populations et Eglises syriaques à leur triste sort ne pourra conduire qu’à la perte et à l’autodestruction de l’Eglise syriaque - maronite.

En leur tournant le dos, elle ne fait que creuser sa propre tombe. Les Chrétiens de Haute – Mésopotamie ont toujours vu dans le Liban une terre promise. Trente ans avant ceux du Nord irakien, c’était ceux du Sud de la Turquie qui avaient demandé au Liban de les adopter parmi ses fils.

Syriaques - orthodoxes, Syriaques - catholiques et Assyro – chaldéens ont supplié l’aide de leur « grande sœur », l’Eglise syriaque – maronite.

La réponse de l’un des principaux partis politiques de l’époque fut tranchante : « Soyons clairs, nous préférons le Musulman libanais comme nous, au Chrétien turc ». Le Musulman est libanais comme nous, il est vrai, mais le Chrétien n’était nullement Turc, il fuyait la Turquie ; c’était un syriaque, tout comme le Maronite qui semblait ne plus vouloir s’en souvenir.

La réponse de l’Eglise syriaque - maronite fut, elle, plus diplomatique : « Nous refusons de voir l’Orient se vider de ses Chrétiens, ce qui arriverait s’ils venaient tous au Liban ». Menacés dans leur existence même, ces Chrétiens désertèrent leurs villages de la Haute – Mésopotamie turque. Ils sont aujourd’hui plus de 300 mille Syriaques entre la Suède, l’Allemagne, la Belgique et quelques autres pays européens car l’Eglise syriaque - maronite a fermement refusé de voir l’Orient se vider de ses Chrétiens.

D’autres populations, d’autres personnes furent naturalisées à leur place. Si le Liban est malade, si les Syriaques – maronites et leurs frères Roums connaissent aujourd’hui une grave hémorragie, c’est parce qu’il y a une trentaine d’années, ils ignorèrent les plaies béantes de leurs parents de la Haute – Mésopotamie turque. Ils semblent d’ailleurs vouloir persévérer dans leur politique de l’autruche en agissant de même envers leurs parents de la Haute - Mésopotamie irakienne.

Ils précipitent ainsi, sans aucune hésitation, leur propre chute.

La gangrène de la dhimmitude semble avoir infecté tout le corps maronite. Des autorités temporelles aux autorités spirituelles et du haut de la société jusqu’à sa base.

Le reniement de l’identité de cette Eglise et de ses ouailles est devenu monnaie courante et, on ne peut plus normalisé, depuis l’acceptation forcée des accords de Taef en Arabie Saoudite.

La capacité à ignorer les autres Eglises et populations syriaques d’Orient excelle dans la virtuosité et l’ingéniosité depuis 1943 et depuis l’illusion d’une identité libanaise auprès d’autres nouvelles identités nationales orientales non moins illusoires.

En ce temps où nous commémorons l’anniversaire du Génocide arménien, pensons sérieusement à transformer ce souvenir douloureux en sentiment de fierté.

Car, sans le Liban qui ouvrit grand ses portes à ces fils de l’Orient chrétien, ces Arméniens auraient rejoint les flux de l’hémorragie chrétienne orientale. Ils n’auraient pas pu créer toutes ces écoles et institutions arméniennes culturellement si prospères.

La fin de la dhimmitude

Le Liban ne doit pas et ne peut pas faillir à cette vocation sans laquelle il perdrait sa raison d’être et son âme. Ce n’est nullement le sort de 4 000 Assyro – chaldéens qui est en jeu en ce moment, mais c’est le sort du Liban – même, et celui de notre présence à tous dans cet Orient qui vit naître le Christ et la religion de l’amour et de la compassion.

Ce que les jeunes générations demandent aujourd’hui, ce que les jeunes partis veulent, c’est la transparence et l’honnêteté. C’est la fin de la dhimmitude.

En effet, il y a deux types de rapports avec nos frères arabo-musulmans, la première, que nous vivons depuis une soixantaine d’années consiste à dire que nous ne pouvons que nous entendre car nous sommes tous un seul peuple et une seule culture dans notre arabité.

Cette attitude mensongère a conduit à toutes les catastrophes que nous avons vécues et que nous continuons de vivre.

Il y a cependant un deuxième type de relation possible. Celui-ci consisterait à dire : « Je respecte ta culture frère musulman, ta langue, ta religion et ton arabité. Viens donc que je te fasse connaître aussi ma culture, ma langue, ma religion et mon identité syriaque ». Je suis sûr que cette méthode fondée sur l’honnêteté et la transparence sera bien plus appréciée et respectée par nos voisins arabo-musulmans.

Nous persévérons aujourd’hui et nous oeuvrons pour un Liban plus vrai et plus juste.

Nous voulons l’égalité entre tous ses citoyens, arabes, arméniens et syriaques. Une formule nouvelle doit pouvoir nous permettre de vivre notre identité réelle non celle imposée par une constitution fabriquée à l’étranger.

Une constitution et des lois nouvelles devraient pouvoir nous permettre d’enseigner le syriaques et l’arménien dans nos écoles et qu’ils deviennent des langues nationales reconnues et pratiquées à tous les échelons de la vie sociale et nationale.

Enseigner la langue et l’histoire est primordial pour arrêter en partie l’hémorragie et l’exode des Chrétiens. Avec une identité chrétienne, ils pourront toujours émigrer vers d’autres pays soi-disant chrétiens. Mais avec la conscience d’une identité syriaque qui se vit et se pratique quotidiennement, le déracinement sera bien plus difficile.

Comment, d’autre part, sauver les Chrétiens orientaux de la dissolution en Occident ? N’a-t-on jamais pensé à transformer nos églises en écoles du soir ?

Qu’une seule fois par semaine, les enfants puissent s’y rendre pour étudier auprès de la catéchèse, leur langue, leur histoire et - pourquoi pas ?- leur danse folklorique. Les Arméniens le font déjà en France et aux Etats-Unis. Lors d’une catastrophe naturelle telle un séisme, ces écoles se transforment en véritables ambassades qui se lancent au secours des démunis.

Encore aujourd’hui, le Liban exporte vers le monde entier, les évêques, prêtres, vardapet et enseignants arméniens. L’apprentissage de la langue syriaque pourra aussi réunifier et rapprocher les Maronites (mais aussi les Roums et les autres rites syriaques) éparpillés à travers la planète.

Le jour où la moitié de la messe se refera en syriaque, il sera possible de retrouver une partie identique et commune à toutes les églises maronites à travers le monde, qu’elle soit de langue portugaise, anglaise, espagnole, française, arabe ou autre. Et ces chrétiens d’horizons divers et de langue diverses pourront communiquer tous entre eux en syriaque, leur moyen d’expression commun.

Il n’est plus normal que les enfants de l’Eglise antiochienne syriaque-maronite (tel est le nom officiel de cette Eglise) ne connaissent pas leur langue, étant donné le grand nombre d’écoles chrétiennes à travers le pays.

Il n’est plus normal que les écoliers libanais ignorent que leurs ancêtres furent également une partie importante des victimes de Saipho et que le Liban est une des régions du Croissant syriaque. La seule qui nous reste peut-être.

Enver Pasha écrivit: “Nous nettoierons l’empire ottoman des Arméniens et des Libanais. Nous nous débarrasserons des premiers par l’épée et des seconds par la famine organisée”. Tous les Arméniens connurent Saipho, tous les Syriaques aussi.

Des syriaques orthodoxes du Tour-Abdin aux Syriaques-maronites du Tour-Levnon (Mont-Liban), des massacres de 1860 dans le Liban à ceux de 1890-95 en Hautes-Mésopotamie, le tout couronné par le Saipho de 1914-18. Mais les Arméniens qui enseignent toujours leur langue, commémorent ce souvenir. Quant aux Syriaques-maronites qui ne connaissent plus leur langue, ils sont dans l’amnésie générale.

Le nouveau Liban pour lequel nous oeuvrons est celui qui ne renie pas le passé pour bâtir l’avenir, c’est celui qui n’a pas honte de ses martyrs, c’est celui qui marche vers la Vérité même lorsqu’elle exige les plus grands sacrifices.

Nous cherchons à faire de cette devise une réalité : Iqoro d Lévnon métihév léh. (La gloire du Liban lui fut donnée)

Taodi tov, Ouv shayno ouva shlomo.

© Bar Julius

(avec l'autorisation de l'auteur; Reproduction interdite sans autorisation de Primo)

 

 

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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