CHANTAGE ET OTAGES SONT LES MAMELLES DES TYRANS

Publié le par shlomo


Les infirmières et le médecin bulgares sont libres, on ne peut que s’en réjouir. Cela n’empêche pas de se poser des questions.

La prise d’otage met les démocraties devant un dilemme insoluble.

Soit elles optent pour la fermeté, un choix rationnel qui exige zéro exception, et elles passent pour des monstres froids vis-à-vis de leur opinion publique, c’est-à-dire les électeurs à qui elles rendent compte et qui leur rendent la monnaie de leur pièce.

Soit elles choisissent l’affect, donc le compassionisme et ne lésinent ni sur la grandiloquence ni sur les compromissions pour libérer leurs citoyens captifs.

Bien sûr, l’opinion publique ne peut pencher qu’en faveur de la libération des otages, quel qu’en soit le prix : le citoyen normal d’une démocratie occidentale s’identifie d’autant mieux à l’otage que celui-ci est choisi sur le seul critère racial ou ethnique, un critère qu’ils ont en commun.

A l’inverse, pour s’imaginer commettre les actes des « fous de Dieu » prêts à égorger femmes et enfants, il faut, dans nos sociétés axées sur le libre-arbitre, être atteint d’une pathologie qui ne passe pas inaperçue.

Dans les séries télévisées qui mettent en scène des serial killers, les héros sont les policiers qui les arrêtent. Dans les sociétés dont sont issus les kidnappeurs d’Occidentaux, on donne le nom des assassins à des rues ou à des universités.

C’est grave, Docteur ? Oui, pas besoin d’avoir bac+10 pour s’en rendre compte ! Dans le débat éthique sur l’inné et l’acquis, cela donne un avantage certain aux tenants de l’acquis en démontrant à quel point on peut conditionner des populations entières en fonction des valeurs qu’on leur inculque dès l’enfance.

Truisme ? Oui, mais pas seulement : combien d’enfants nourris à l’exaltation du martyre s’identifient spontanément, eux, aux ravisseurs des otages et ne rêvent que de suivre leurs traces ?

Les candidats au rapt d’innocents sont donc légion et il est vain d’espérer qu’ils voient autre chose que de la faiblesse dans l’émotion des citoyens, qui se traduit par la soumission de leurs dirigeants aux diktats des ravisseurs.

Logiques incompatibles

La logique de l’opinion publique et celle de la politique sont incompatibles, c’est une question de timing. Gouverner c’est prévoir, et en ces temps de mondialisation, il convient de prévoir de plus en plus loin et de plus en plus tôt.

À l’inverse, plaire au public se fait en temps réel, la réaction devant suivre l’action à moins d’un journal télévisé d’écart.

Paradoxalement, on protège mieux l’ensemble de ses administrés quand on n’est pas prêt à tout pour en sauver quelques-uns.

Pour obtenir la libération des infirmières et du médecin bulgares (oui, je sais, ça sonne bizarre, car on attend la rime « palestinien » avec « médecin », mais l’homme est naturalisé bulgare, alors optons pour la simplicité !). Pour obtenir la libération, donc, des Bulgares, les démocraties occidentales ont offert à un tyran paranoïaque des moyens de nuisance de grande envergure. Un million de dollars par enfant « contaminé », cela fait 426 millions de dollars aux « familles » des victimes du Sida.

Poussons la logique dans ses retranchements : cette somme a été payée par l’UE au titre de dédommagement pour un crime soi-disant commis volontairement par des professionnels de santé. Ces « coupables » étant arrivés sur les lieux bien après le HIV, il n’y a pas de raison de verser en leur nom une compensation aux familles des petits malades.

C’est pourquoi Kadhafi trouvera sans aucun doute à employer le pactole à des œuvres plus utiles, comme l’achat d’armes lourdes ou la recherche et développement d’armes chimiques…

Remarquons au passage que les petits malades libyens, tout le monde s’en fiche éperdument, en France comme en Bulgarie ou en Libye !

Et personne n’a même fait semblant de penser un seul instant que cet argent allait réellement être versé à leurs familles.

Alors pourquoi la presse rabâche-t-elle la formule « l’argent versé aux familles » ad nauseam ? Si vous avez des amis journalistes, posez-leur la question.

Nous on ne sait pas : chez, Primo nous ne laissons pas notre esprit critique au vestiaire quand nous regardons le monde…

C’est bien beau de tout critiquer, mais que proposez-vous ?

La démocratie représentative a bien des défauts, mais elle présente aussi des avantages. Notamment celui de donner aux élus la latitude d’agir au mieux de ce qu’ils estiment être les intérêts de leurs mandants pendant cinq ans avant d’en répondre devant eux.

C’est pourquoi ils devraient privilégier le long terme et gouverner avec la raison sans se laisser influencer par leur cœur.

Facile à dire : ni les infirmières ni le médecin n’étaient mes proches. Si cela avait été le cas, je n’aurais pas eu cette attitude rationnelle.

Eh bien justement ! C’est pour cela qu’il ne faut pas me demander de prendre des décisions qui engagent le pays. Si j’étais la fille d’Ingrid Betancourt, je harcèlerais mon gouvernement pour qu’il pousse celui de Colombie à céder aux exigences des brutes qui détiennent ma mère.

Mais comme je ne connais pas l’otage franco-colombienne, je dis clairement qu’il est irresponsable de sacrifier l’avenir de la démocratie pour la sauver. Et je comprendrai très bien que les enfants de Mme Betancourt viennent me casser la figure, j’en aurais fait tout autant à leur place.

Rester à sa place et oser prendre la sienne

La place des citoyens est une donnée individuelle. La préoccupation de leurs représentants ne peut être que la collectivité. Lorsque les deux sont contradictoires, si le gouvernement ne prend pas ses responsabilités, qui le fera ?

Il n’est pas d’exemple de lâcheté qui ait débouché sur un progrès, qu’il soit social, politique ou militaire.

Nos élus sont loin de Kadhafi et ce n’est pas la crainte de cet illuminé qui leur dicte leur conduite. Mais leur opinion publique est sous leurs fenêtres. Comment lui résister ?

Et si la grandeur des politiques était leur capacité à supporter qu’on ne les aime pas ?

« Qu’importe qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent » clamait Caligula, dont Camus étudia avec finesse la problématique : jusqu'où peut-on provoquer le destin et à quel moment un signe de celui-ci nous indique-t-il que nous sommes allés trop loin ?

Provoquer le destin en armant Kadhafi et en le réintégrant au « concert des nations », c’est indiquer à ses émules que la tactique est efficace. Kidnappez n’importe qui, accusez-le de n’importe quoi et les dirigeants occidentaux, tétanisés à l’idée que leurs opinions publiques leur reprocheront leur passivité, cèderont à toutes vos exigences !

426 millions de dollars, des routes, un système de santé et une virginité politique d’un côté, sept infirmières et un médecin de l’autre.

Si le prochain tyran sait compter, nos pièces jaunes ne suffiront pas pour les otages futurs : il y a gros à parier que le nécessaire « impôt rançon » refroidira la solidarité populaire !

Liliane Messika ©Primo-Europe, 25 juillet 2007

Auteur : Liliane Messika
Date d'enregistrement : 24-07-2007

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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