COMBATTRE DES TERRORISTES ?

Publié le par shlomo

Cette question, plus d’un/e Suisse/sse sur deux mérite de se la voir poser, à en croire une enquête commentée ce matin notamment dans Le Temps. Outre plusieurs résultats indiquant une recrudescence des «sentiments anti-juifs», on y trouve en effet une perle fort révélatrice:

Le Hezbollah libanais ne semble pas mieux loti dans l’opinion suisse puisque 53% le considèrent également comme une «organisation terroriste» (…).

Ces 53% ont raison. Le Hezbollah mise à fond sur le terrorisme, vise sciemment des civils et met sciemment en danger des civils dans le cadre d’opérations violentes préparées de longue date.

Aux yeux des Suisses, la nature et les activités de l’organisation chiite ne justifient cependant pas la guerre du Liban lancée le 12 juillet 2006 par Israël afin de récupérer deux de ses soldats qui venaient d’être enlevés par un commando islamiste.

Même le journalisme, ici, nous glisse au passage que c’est Israël qui a lancé la guerre. Honte!

60% d’entre eux pensent en effet que l’Etat hébreu «n’avait pas le droit» de riposter comme il l’a fait à cette opération. 

Depuis quand, donc, n’a-t-on pas le droit de combattre des terroristes? Depuis quand doit-on respecter, laisser en paix, un mouvement que l’on considère comme terroriste? Et comment se fait-il que les gens puissent être si confus à cet égard?

Histoire d’y réfléchir, voici un extrait d’une plainte administrative (version avec références complètes) contre une émission de la TSR relatant les combats en question:

Émission du 29 décembre 2006

La rétrospective démarre sur des images de tirs d’artillerie de l’armée israélienne. Puis, un nuage de fumée au-dessus d’une ville, sans doute Beyrouth. Commentaire:

Le cauchemar. Une nouvelle fois. Les Libanais avaient presque oublié la guerre de 78, Israël bombarde à nouveau le Liban-Sud, jusqu’à Beyrouth.

Cette phrase et ces images suggèrent qu’Israël bombarde: 1. l’entier du Liban-Sud, y compris Beyrouth; 2. des Libanais. Et que ce n’est pas la première fois. Le choc de cette entrée en matière donne une impression générale d’attaque massive, indifférenciée et réitérée contre le pays et sa population. Et cela de manière unilatérale: ce n’est que dans la prochaine phrase, sur des images qui montrent alors des immeubles détruits, des tas de gravas, des gens qui s’activent dans des décombres fumants, que la commentatrice donnera une raison, la seule mentionnée, pour ce comportement de l’armée israélienne:

À la source du conflit, la capture de deux soldats israéliens, par le Hezbollah, le mouvement chiite libanais. Résultat: un mois de guerre et 1300 morts, dont plus de 400 enfants. Le massacre de Cana bouleverse le monde entier.

Le ton est accusateur. Israël a commis là des actes injustifiés et répréhensibles. Le terme de «massacre», qui évoque des tueries d’une cruauté exécrable, est même prononcé. Les images soutiennent ce réquisitoire, toujours bien alignées sur le commentaire:

Les ponts sont détruits, les routes sont coupées, les réservoirs de pétrole en feu. Résultat: une immense marée noire — 15 000 tonnes de brut sont déversées dans la Méditerranée.

Israël, semble-t-il, détruit uniquement des installations civiles, des immeubles en ville, des ponts, des routes et des réservoirs de pétrole, causant même une «immense» marée noire. Israël semble concentrer son effort de guerre sur la société civile libanaise. Puis les images montrent des foules en liesse brandissant des drapeaux libanais (ceux du Hezbollah sont absents) au passage de troupes (sur des routes en parfait état). Commentaire:

Le 11 août, le conseil de sécurité de l’ONU obtient un cessez-le-feu. C’est le retour triomphal de l’armée libanaise.

De quel triomphe l’armée libanaise pouvait-elle se réclamer? Puis les images nous montrent des soldats français (brassards tricolores bien visibles):

Les premiers soldats de la Finul, les forces de l’ONU au Liban, débarquent. Ils sont là pour aider à la reconstruction du pays.

Et la rétrospective se termine sur des images d’embouteillages et une sombre perspective:

Des centaines de milliers de personnes rentrent alors chez elles, dans un pays infesté de bombes à sous-munitions.

Pour présenter les choses de cette manière, il faut faire abstraction de très nombreuses informations, fournies notamment par les autorités israéliennes. Sans entrer dans le détail des origines et des effets de la «guerre de 78» (trois ans après l’invasion du Liban par les troupes syriennes et alors que le Liban-Sud était le bastion de l’OLP), il faut relever au moins les informations suivantes:

L’attaque du Hezbollah, le 12 juillet 2006, ne se résumait pas au rapt de deux soldats. C’était «la plus grave attaque commise depuis le retrait de Tsahal du Liban en mai 2000», un acte de guerre exécuté par un commando bien armé (lourdes charges explosives au sol, missiles anti-char, appui d’artillerie) et entraîné, avec franchissement de frontière et mort d’hommes. L’opération avait visiblement été orchestrée: un engin blindé israélien lancé à la poursuite des attaquants a été détruit et son équipage tué sur le coup par une charge de quelque 300 kilos d’explosif placée sur sa route logique à la poursuite du commando. Des unités d’infanterie et des blindés qui tentèrent alors de récupérer le char furent pris pour cibles par des tireurs embusqués. Le tout était accompagné de tirs de missiles sur plusieurs localités israéliennes (on dénombra alors notamment trois blessés à Shetula) et des positions de Tsahal dans le secteur.

Or les événements allaient très vite montrer que ces attaques étaient elles aussi bien planifiées, au point de pouvoir se poursuivre malgré les bombardements israéliens: le Hezbollah a tiré 120 à 150 roquettes ainsi que des obus de mortier et des missiles anti-char entre le 12 et le 13 juillet, faisant deux victimes civiles et 115 blessés. Et ce rythme a été maintenu tout au long du mois de juillet, comme l’indique cette estimation des tirs quotidiens sur Israël:

Ces tirs provenaient essentiellement des lieux suivants…

…et visaient délibérément des objectifs non militaires, comme l’indique l’analyse de listes de cibles de tirs de l’une des positions du Hezbollah, à Shihin (la carte ci-après indique les cibles de cette position de tir en Israël):

Sur les 91 cibles prévues par cette liste (un tableau de trois pages rédigé en arabe), 56 sont purement civiles et 27 sont des positions et des bases trop petites pour être visées efficacement par les roquettes utilisées, de sorte qu’il fallait s’attendre à ce que des civils soient touchés également (par au moins une roquette sur deux). À relever que ces listes de cibles prouvent que le Hezbollah est coupable de l’équivalent, pour une nation, de crimes de guerre prémédités, préparés de longue date (les listes datent de décembre 2005) par son commandement central.

Mais la question troublait si peu les dirigeants du Hezbollah qu’ils se vantaient à la télévision, sur des clips passant plusieurs fois par jour, de viser justement des villes et des villages israéliens. Voici deux images de ces clips énumérant la liste des cibles du Hezbollah en Israël.

Une bande permanente y annonçait même (Al-Manar, 19 juillet) que 176 «implantations» (au sens de «colonies illégales», car pour le Hezbollah, l’État Israël n’existe pas et le nord du pays est en fait «le nord de la Palestine occupée») et 480.000 habitants avaient été pris pour cibles. De fait, les roquettes du Hezbollah ne touchèrent guère que des civils, malgré les mesures de précaution prises en Israël (descente aux abris systématique pour un million de personnes, déplacements de près de 500.000 autres). Les pires dommages causés à l’armée israélienne par ces engins furent dus à une roquette qui toucha un groupe de réservistes près de l’entrée d’un kibboutz (Kfar Giladi, le 6 août).

Sur le terrain, rien ne confirmait les premières déclarations télévisées de Hassan Nasrallah, le 12 juillet, sur Al-Manar, selon lesquelles son organisation «n’était pas intéressée par une escalade du conflit». L’armée israélienne faisait face au contraire, dès le premier jour, à une agression concertée et à des dizaines de «cibles légitimes» d’où des attaques étaient lancées non seulement contre elle, mais surtout contre la population civile israélienne – il était du devoir de cette armée de faire taire ces sources de feu. Et si elle n’y est pas parvenue rapidement, malgré sa supériorité militaire, c’est en raison du degré de préparation du Hezbollah.

Depuis six ans, le Hezbollah avait en effet consacré des moyens et des efforts considérables à moderniser son infrastructure militaire, à la rendre résiliente aux attaques israéliennes, à en faire une source de menace sérieuse pour la population israélienne et à asseoir son pouvoir politique au Liban, tout cela avec le soutien de l’Iran et de la Syrie, comme l’a d’ailleurs confirmé lui-même entre-temps le chef du Hezbollah:

«L’Iran soutient l’organisation [le Hezbollah] en fournissant des fonds, des armes et de l’entraînement, sur la base d’une fraternité religieuse et d’une solidarité ethnique. Et l’aide est transmise via la Syrie, et tout le monde le sait.»

La tâche de Tsahal était rendue très délicate par le choix de positions d’attaque du Hezbollah, ici aussi délibéré et préparé de longue date, au mépris le plus total du droit de la guerre. Ainsi, de très nombreux missiles étaient tirés depuis les villages du Liban-Sud. Voici une statistique établie sur la base des relevés radars des FDI:

Et c’est en fait toute l’infrastructure du Hezbollah qui prenait l’allure d’installations civiles:

Des enquêtes sur le terrain, des films tournés par les forces aériennes, des interviews de combattants du Hezbollah arrêtés par les FDI, des plans de stockage et d’usage d’explosifs, des plans de mission, des contrats de location, des listes de fournisseurs «agréés», des listes de cibles, des déclarations publiques, des photographies aériennes, des relevés radar indiquent que la quasi-totalité des infrastructures militaires du Hezbollah qui pouvaient l’être ont été camouflées dans des installations à destination civile: armes transportées dans des véhicules civils, installations militaires dissimulées dans des stations d’antennes civiles, résidences entières servant de caches d’armes ou de lieux de commandement, idem pour des caves de résidences, des bâtiments annexes, des pièces isolées de logements, des étages isolés d’immeubles d’habitation, des bâtiments adjacents à des moquées et jusqu’aux logis entiers des habitants – toutes les infrastructures civiles du Liban-Sud étaient à la disposition des combattants du Hezbollah, qui en firent largement usage, allant jusqu’à piéger des bâtiments civils. Tout ceci au mépris de toutes les considérations du droit applicable.

Et, compte tenu de l’imbrication exceptionnellement élevée du Hezbollah dans la population et les infrastructures civiles, Israël a pris plusieurs mesures, militairement fort peu judicieuses, afin de prévenir autant que possible les victimes civiles:

Des centaines de milliers de tracts ont été largués par avion sur plusieurs régions et à plusieurs reprises pour inviter la population à se rendre au nord de la rivière Litani (par exemple 510.000 le 16 juillet, 350.000 le 21 juillet). D’autres tracts ont été largués sur les quartiers sud de Beyrouth et sur tous les districts concernés, enjoignant la population de quitter les endroits utilisés par le Hezbollah. Des appels téléphoniques personnels ont été lancés aux responsables politiques locaux. Des messages en arabe ont été émis sur une station de radio. Des dizaines de milliers de messages vocaux ont été adressés à des abonnés réguliers. Des stations de radio libanaises ont été piratées pour diffuser des avertissements sur des fréquences largement écoutées au Liban. Des actions ponctuelles ont aussi été lancées pour prévenir les habitants des mouvements de véhicules et des actions de l’armée israélienne, en dépit du manque d’efficacité militaire évident de telles précautions.

Les médias locaux ont repris ces informations. Ces campagnes ont notamment été signalées sur Al-Arabya TV, par Reuters (en arabe) et par le quotidien libanais Al-Nahar.

Au vu et au su de ce qui précède, le raccourci, la simplification extrême proposée par la rétrospective de la TSR, qui établit un lien direct entre la capture de deux soldats israéliens et le bilan libanais, induit le public en erreur, de même, par ailleurs, que le fait de qualifier le Hezbollah de simple «mouvement». Cette présentation des événements, ce lien établi entre une information tronquée et un bilan global exprimé en nombre de morts, en précisant le nombre d’enfants parmi eux, révèle même une intention d’orienter l’impression générale transmise aux téléspectateurs.

En effet, les informations disponibles permettaient de démontrer valablement que le Hezbollah se servait systématiquement de la population libanaise comme d’un bouclier humain, utilisait systématiquement des installations en principe purement civiles et visait systématiquement des populations civiles en Israël. Ceci tandis que l’armée israélienne faisait de réels efforts pour ne viser que des cibles légitimes au sens du droit applicable et pour minimiser le nombre de victimes civiles libanaises. Une information équitable peut-elle passer sous silence des faits d’une telle importance et aussi solidement établis?

Et qu’en est-il, en revanche, de l’information que la TSR croit utile de rappeler à propos du «massacre de Cana»? Comme nous venons de le voir, cette tragique affaire était en majeure partie due à la politique de mise en danger systématique des civils pratiquée par le Hezbollah. Le nombre de ses victimes a été d’abord largement exagéré (plus de 50 selon la TSR lors du premier flot de nouvelles, 28 selon la Croix Rouge ). Et le «massacre de Cana» a servi à une propagande morbide détestable – des dépouilles d’enfants ont été transportées, déplacées et orientées exprès pour les journalistes, par des gens qui maîtrisaient visiblement les techniques de prises de vue, au point qu’il faut douter de la véracité des images et des comptes rendus des médias réalisés à Cana.

Les journalistes de la TSR ignoraient-ils cela? S’ils ne l’ignoraient pas, pouvaient-ils remplir dignement le mandat confié par la Confédération à la TSR sans en tenir compte d’aucune manière dans le cas d’espèce?

D’autant plus qu’à ce doute ponctuel s’ajoutent plusieurs incidents révélant que les médias ont été sciemment manipulés par le Hezbollah pendant cette guerre. Des images d’agence parues dans les plus grands médias de la planète ont été retouchées ou mises en scène. Le PDG de Reuters déclara sur les ondes de CNN que le phénomène était largement répandu. Un journaliste de CNN a déclaré publiquement qu’il avait été manipulé par le Hezbollah pour orienter son reportage de manière à donner une image négative d’Israël.

D’autre part, les autorités israéliennes ont indiqué que 150 roquettes avaient été lancées avant l’attaque depuis Cana et ses abords immédiats et que les résidents avaient été avertis à plusieurs reprises, par plusieurs moyens, qu’ils devaient quitter les lieux. Montrer des images de Cana sans préciser aucun de ces éléments, dans le contexte en question, équivalait à faire porter à Israël le blâme de ce drame. Or l’examen des éléments d’information dont les journalistes disposaient en décembre 2006 ne permettait nullement de présenter les choses de cette manière sans compromettre gravement la pluralité des faits et la diversité des opinions et sans répandre une impression générale orientée.

Qu’en est-il également de ce que le commentaire de la TSR qualifie d’«immense marée noire»? Selon un site proche du ministère français de l’Écologie et du développement durable et de milieux écologiques, la plus grave marée noire de source unique a été celle du puits sous-marin Ixtoc One, dans le golfe du Mexique, en 1979, avec entre 470.000 et 1.500.000 tonnes de pétrole déversés. Pendant la première guerre du golfe, en 1991, 700 à 900.000 tonnes de pétrole auraient été répandues dans la mer. D’autres marées noires de grande ampleur sont répertoriées notamment au Brésil (plateforme pétrolière en 2001, 350.000 tonnes) et en Afrique du Sud (Castillo de Bellver, 250.000 tonnes). En Méditerranée, on peut citer l’affaire de l’Urquiola en 1976 (100.000 tonnes), de l’Amoco Cadiz en 1978 (223.000 tonnes), de l’Independenta en 1979 (95.000 tonnes), de l’Irenes Serenade en 1980 (102.000 tonnes), du Haven en 1991 (140.000 tonnes) ou encore de l’Aegian See en 1992 (80.000 tonnes).

Avec 15.000 tonnes, il paraît donc excessif de parler d’une «immense marée noire», d’autant qu’il s’agit d’un maximum – le rapport le plus officiel indique «entre 10000 et 15000 tonnes». Ici aussi, le choix des images et le commentaire ont pour effet d’orienter l’information, ce qui compromet la mission d’information confiée par la Confédération à la TSR. Et ce dans un sens qui semble largement systématique. Surtout si l’on considère que la rétrospective ne dit pas un traitre mot sur les victimes israéliennes (les deux soldats enlevés exceptés) et les dégâts subis par Israël – également sur le plan environnemental – pendant ce conflit.

Ainsi, ce résumé de la TSR
– simplifie de manière outrancière le cours des événements,
– en exagère certains aspects au détriment d’autres,
– ne présente aucun élément d’information permettant d’expliciter le comportement d’Israël et
– passe entièrement sous silence les crimes de guerre qualifiés perpétrés systématiquement, sciemment et ouvertement par le Hezbollah,
ce qui engendre une impression générale faussée, incitant les téléspectateurs, concrètement, à condamner Israël et à ignorer les crimes du Hezbollah.

* * *

Fin de l’extrait. Les juges n’ont pas accepté cette plainte (de peu). Leurs motivations ne sont pas encore connues. Mais au nom de quoi peuvent-elles être valables? Soit le Hezbollah est terroriste et nous devrions le condamner et le combattre à ce titre, partout où il exerce son influence, et soutenir ceux qui ont le courage de l’affronter sur le terrain, malgré toutes ses manigances ignobles, soit il est un mouvement politique légitime. Les informations fournies ici ne permettent-elles pas de trancher?

UPDATE: Pour le Hezbollah, en tout cas, la conclusion est claire:

Last summer, many of Hezbollah’s rocket batteries were located in unpopulated rural areas, where the guerrillas dug networks of tunnels and fortifications, the officials said. But the army’s new intelligence indicates that those positions have now largely been abandoned in favor of populated villages, which provide better cover for the group’s activities.

Le prochain affrontement sera donc encore plus «civil». 

Publié dans TERRORISME

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