LE TEMPS PERDU....PEUT- ETRE

Publié le par shlomo

La lecture des mémoires du colonel Trinquier, intitulées Le temps perdu, et qui attendaient depuis des mois dans ma bibliothèque que je veuille bien leur porter l'attention qu'elles méritent, est particulièrement édifiante sur les rapports entre militaires et politiques dans les conflits contemporains. Au terme de son ouvrage et concluant sur l'abandon de l'Algérie, l'auteur écrit notamment ces lignes :

Il fallait d'abord ne pas mentir. On ne peut pas construire une politique sur l'équivoque et le mensonge permanents. On ne ment pas à des officiers engagés corps et âme dans une oeuvre pacificatrice qui les avait passionnés. La vérité finit toujours par sortir du puits et sa lumière crée alors des catastrophes.
Un pouvoir honnête aurait dû dès le départ éclairer son armée sur la finalité de sa politique, pour qu'elle oriente dans le sens voulu son action psychologique.

L'expérience des officiers français en Indochine et en Algérie, au contact des populations locales et visant à les associer à un projet stratégique, est aujourd'hui rejetée sans équivoque, voire condamnée pour sa dérive putschiste ; les dirigeants civils se gargarisent du primat de la politique sur les armées, alors que les chefs militaires se distancent du monde politique avec parfois de la crainte mêlée de mépris. La focalisation sur le combat symétrique de haute intensité, préparé et entraîné pendant des décennies en Europe durant la guerre froide, a facilité cette séparation et cette spécialisation. Jusqu'à ce que les armées soient entraînées dans des missions dites autres que la guerre, c'est-à-dire souvent des conflits de basse intensité, et se rendent compte que la politique en est toujours le terrain d'action déterminant.

L'action psychologique de l'armée française mentionnée par Trinquier relevait d'une conception globale, sociétale ; les opérations psychologiques des armées contemporaines sont pour l'essentiel des actions tactiques se limitant à une communication, voire à une propagande, considérée comme un élément d'appui pour les tâches sécuritaires. Il faut une situation inédite pour donner à des officiers une latitude d'agir comparable à celle dont jouissait les coloniaux, comme en Afghanistan à la fin de 2001, lorsque les forces spéciales américaines menaient une action à la fois militaire et politique pour renverser les Taliban, éliminer le plus de combattants islamistes, mais également préparer le pouvoir politique qu'il s'agirait d'installer au terme de l'invasion. Et encore : la structure mentale rigide des armées conventionnelles, largement imperméable à la nature sociétale du conflit, n'a pas tardé à reprendre ses droits et son emprise.

Pourtant, l'éclatement de l'espace et du sens, à travers le flux des personnes et des informations, fait que le temps perdu de Trinquier et consorts ne l'est pas nécessairement : la forme des conflits dans lesquels l'armée française - avant d'autres - s'est empêtrée reste en effet celle qui prédomine aujourd'hui, à la différence près qu'elle n'est plus réservée à des théâtres d'opérations lointains ou séparés de la métropole. En d'autres termes, face à l'apparition et à la multiplication de zones de non droit dans les villes européennes, face également à l'hétérogénéité croissante des populations sur le plan ethnique et religieux, on voit apparaître chez nous des conditions sociétales où prospèrent naturellement de telles méthodes conflictuelles. Méthodes que des armées barricadées dans leurs places d'armes, obnubilées par l'emploi de leurs armements et surtout indifférentes à la politique ne pourront guère davantage maîtriser.

Posté par Ludovic Monnerat à 19:10 | Commentaires (2) | Pisteur (0)

Publié dans FRANCE

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