Entre sentiment d’insécurité et contraintes économiques, l’immigration des Juifs marocains ne discontinue pas. Le Judaïsme marocain est dans l’impasse et ses adeptes craignent de voir leur communauté s’éteindre avec le temps et donc rayer de la carte du royaume chérifien. Seconde et dernière partie de notre reportage
Les juifs revenant au Maroc sont soit des jeunes qui ont une vie aisée et ne veulent pas l’abandonner, ou bien d’autres qui éprouvent du mal à intégrer une nouvelle société. Léa, trentenaire, secrétaire, révèle qu’une fois diplômée en France, elle est retournée au Maroc par nostalgie. Quant à Mme Azuelos (épouse du plus grand bijoutier du Maroc), elle raconte avoir envoyé ses deux fils, Serge et Patrick, en France pour poursuivre leurs études à l'issue desquelles ils étaient revenus au pays pour gérer leur fortune. « Ainsi, il y a ceux qui ont des liens métaphysiques comme Esther et Léa, une autosatisfaction comme Dahan ou encore une vie aisée comme la famille Azuelos. D’autres sont restés pour se perpétuer sur le territoire de leurs ancêtres », révèle Toledano.
En fait, ces exemples de citoyens affirment qu’après les attentats terroristes survenus en 2003 à Casablanca, dont deux visaient la communauté juive, celle-ci s’était réunie dans la synagogue de Rabat dans l’objectif commun de réaffirmer son attachement à son pays face à ce phénomène dont aucun pays n’est à l’abri.
Selon les citoyens et les dirigeants juifs marocains, aucun cas d’immigration n’avait été enregistré à cause de ces actes. « Si nous voulions quitter le Maroc nous l’aurions fait durant les moments les plus difficiles, » confie Mme Azuelos sur un ton plus discret.
Selon Berdugo, près de 3000 Juifs vivent actuellement à Casablanca, la plus grande ville industrielle au Maroc. Ils sont des citoyens respectés qui jouissent de tous leurs droits. Lévy rappelle : «Nous avons des synagogues, des associations, nos clubs, nos maisons de retraite, nos Lycées et même des tribunaux avec des juges juifs et une loi judaïque».
Liberté de culte unique
En effet, les Marocains évoquent avec fierté la liberté de culte qui règne dans leur pays. Ils se flattent d'être les seuls arabes à avoir cohabité en paix avec les Juifs, en admettant qu’ils sont Ahl El-Ketab et qu’il s’agit d’une religion et non pas d’une race.
« Je suis fier d’être marocain juif. Le Maroc est un cas unique pour avoir su maintenir et consolider, malgré les vicissitudes des conjonctures, une coexistence sereine et mutuellement respectueuse entre citoyens juifs et musulmans », affirme pour sa part André Azoulay, conseiller du roi Mohamed VI.
Cet ancien banquier ajoute que chaque fois qu'un juif marocain quitte le Maroc
« nous perdons un citoyen et nous gagnons un ambassadeur à l’étranger ». Toledano rappelle la paix dans laquelle vivaient les juifs depuis deux millénaires en terre marocaine et la protection qui leur a été accordée par le Commandeur des croyants, le sultan Mohamed V, grand-Père du souverain Mohamed VI. «Ce ne sont ni l’insécurité ni la discrimination qui ont poussé les nôtres à quitter leur pays» répond rigoureusement Sh. Cohen, directeur du Lycée juif de Maimonide à Casablanca.Doté d’un regard pénétrant et d’un air imposant, Kippa à la tête, il a ajouté derrière son bureau prestigieux. « Si un juif marocain dans tout les pays du monde souhaite retourner au royaume, il lui suffit de se diriger vers l’ambassade du Maroc. Mais est-ce qu’un un juif égyptien, syrien ou irakien pourrait agir de la sorte ? » se demande Cohen, confus sous des émotions diverses, apparentes dans des larmes furtives. Si, le rêve d’une meilleure vie pousse certains à s’expatrier, le sentiment de peur et d’insécurité demeure depuis toujours l’une des raisons majeures derrière leur immigration. « Je suis arabe marocain avant d’être juif, le Maroc est mon pays que j’aime tant, mais si je sens que ma sécurité est en danger je ne voudrais pas y rester », confie Mikaël, élève de 15 ans au lycée de Maimonide, kippa à la tête assis dans la cour de l’école en compagnie de trois camarades musulmanes. Injures racistes
Mohamed ben Alaoui, commerçant au quartier de «Mellah Rabat» estime que l’assimilation entre le judaïsme et le sionisme provoquent le sentiment d’insécurité et encourage la tendance à l’immigration.
Latifa Bouchoua, membre de la commission administrative de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) affirme que la confession juive est classée comme deuxième religion au Maroc, mais cela n’empêche pas qu’une minorité déclare ouvertement sa discrimination dans les slogans anti-juifs scandés dans les manifestations de soutien aux Palestiniens assortis d’injures comme «sale juif», a t-elle dit. « Notre association perçoit comme discriminatoire toute insulte à caractère religieux»
Toledano explique que lorsque la communauté juive a progressivement baissé, les juifs sont devenus moins visibles dans les rues et le judaïsme marocain est devenu méconnu face au panarabisme qui gagnait du terrain. Parallèlement les médias audiovisuels et la presse faisaient, à leur tour, une sorte d’amalgame entre juifs et sionistes. Ces préjugés se sont glissés
« mais sans pour autant tourner en racisme ». Quant à Berdugo, il rétorque que le racisme existe partout dans le monde même à l’intérieur d’Israël dont la création au départ avait pour but de rassembler et protéger les Juifs et réaliser leur aspiration a la sécurité durable.
La paix
Les Juifs marocains assurent que la politique de l’Etat hébreu affecte leur vie, étant convaincus que leur sécurité est tributaire du processus de paix israélo-arabe. Dahan relève que leurs craintes grandissent en constatant que les attentats anti-juifs ne sont pas suffisamment médiatisés à l’instar de ceux perpétrés contre les Palestiniens dont des extraits passent en boucle une vingtaine de fois en longueur de journée.
« C’est à ce moment là que les regards des musulmans marocains font peur », reconnaît le rabbin. «Il y a des marocains qui ont une culture très conservatrice et il leur est difficile de faire cette distinction. Il n’y a que les élites et les plus ouverts qui font la différence entre sionisme, Israël et judaïsme», défend le directeur de l’Institut Marocain des Relations Internationales, Jawad Kerdoudi.
M. Azoulay estime qu’un jour la paix s’établira au Proche-Orient et Israël se trouvera enclin à s’intégrer culturellement et socialement au Monde Arabe. A ce moment les Israéliens d’origine marocaine seront des passerelles entre les juifs de l’Occident et ceux de l’Orient à l’intérieur d’Israël.
«Et lorsque on cessera de rater les rendez-vous de la paix et que l’établissement de deux États, israélien et palestinien, vivant côte-à-côte verra le jour, les conditions seront réunies pour que les juifs marocains rentrent au pays parce qu’il faudra toujours que quelqu’un viennent allumer une bougie sur la tombe de son grand-père », conclut Toledano. Mahitab Abdel RAOUF
Reportage parrainé par la Fondation Anna Lindh
www.lepetitjournal.com - Casablanca mardi
21 août 2007