" DANS LA SOCIETE ARABE , TUER EST DEVENU UNE FIN EN SOI "

Publié le par shlomo

Un militant tunisien des droits de l’homme: "Dans la société arabe, tuer est devenu une fin en soi"

26/09/2007
Voici une réflexion d’une grande qualité philosophique et morale, aussi courageuse que prophétique. Elle devrait servir de ’caveat’ aux amalgameurs professionnels, pour lesquels "TOUS les Arabes se valent", et qui vaticinent à tout va qu’"il n’y a rien à attendre de ces gens-là". Pourtant, le fait que l’un des membres de la nation arabe (et il n’est pas le seul) aie le courage d’émettre un jugement aussi lucide et d’élever une protestation aussi véhémente, invite à ne pas se décourager. Certes, l’auteur est un musulman libéral, et d’aucuns s’empresseront peut-être de marginaliser son témoignage, pour mieux continuer à diaboliser TOUS les Arabes. Tel ne doit pas être notre cas, si, du moins, les Ecritures saintes sont encore une référence pour nous. Souvenons-nous, en effet, de cet oracle du prophète Isaïe (65, 8) "Ainsi parle L’Eternel : Quand on trouve du jus dans une grappe, on dit : ’Ne la détruisez pas, car elle contient une bénédiction’ ; ainsi ferai-je en faveur de mes serviteurs, je ne détruirai pas tout."
(Menahem Macina).

Sur le site du MEMRI

 

Dépêches spéciales - No. 1670

 

31/07/07

 

Basit Ben Hasan, poète et militant tunisien des droits de l’homme, évoque les bombes humaines qui prennent pour cibles les cortèges funéraires.

Dans un article du 13 juin 2007, paru sur le site arabe libéral, Al-Awan (1), le poète tunisien Basit Ben Hasan, ancien directeur de l’Institut arabe pour les droits de l’homme, à Tunis, écrit que, pour certains, dans la société arabe, tuer est devenu une fin en soi, et que pour lutter contre le phénomène des bombes humaines et les autres manifestations de mépris pour la vie humaine, les sociétés arabes doivent surmonter leur "indolence morale" et réévaluer le sens de la vie et de la mort.

Extraits de l’article:

"Tuer avec une violence froide et organisée est devenu une fin en soi"

Cela se passe en Irak, et dans des endroits plus proches de nous que ce que nous imaginons : les bombes humaines prennent pour cibles les cortèges funéraires de victimes d’attentats-suicide.

En un seul geste, et avec une rare détermination, ils se font exploser au milieu des corps des vivants et des morts. Par ces attentats, ils ne s’attaquent pas seulement au domaine de la vie, mais aussi à cet espace qui sépare la vie de l’au-delà: le moment de la mort et du deuil. Par ce type de suicide, ils tuent ensemble les vivants et les morts.

Ils affectent notre perception morale de la vie et de la mort, et ouvrent les portes d’un temps ’nouveau’ - le temps du néant, où les attentats-suicide deviennent une trajectoire absolue et continue, sans objectif historique, et où le meurtre, commis avec une violence froide et organisée, devient une fin en soi.

Ainsi, le meurtre des vivants et des morts par les attentats-suicide qui ciblent les cortèges funéraires, est un phénomène effrayant, qui stupéfie et qui, à ce stade de l’histoire, attire l’attention intellectuelle et morale.

Nos intellectuels se placent dans une logique de perpétuelle justification des attentats-suicide

La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Le but de l’existence est-il de propager des vies nouvelles et différentes et d’atteindre une forme de bonheur collectif dans le monde des hommes ? Ou la valeur de l’homme réside-t-elle dans la destruction de l’humanité par la destruction de sa personne et de celle des autres ? Et quel rôle joue la mort dans la reconnaissance de l’importance de la vie ?

Plusieurs philosophies, anciennes et modernes, tentent d’appréhender la politique au prisme de ces questions éthiques fondamentales, [mais] nos intellectuels les ignorent et les marginalisent avec un savoir-faire d’expert. Ils persistent à organiser des débats mous et monotones sur les attentats-suicide, et à employer une logique de perpétuelle justification et de tolérance vis-à-vis de l’intolérable.

Parfois, ils se basent sur une conception de ’résistance’ absolue, sans fournir la moindre réflexion sur les nombreuses significations de cette conception ni sur sa spécificité historique. Ou bien ils se basent sur le fait qu’il n’existe pas de définition claire et univoque du terrorisme (…), comme si l’absence de définition d’un phénomène pouvait permettre d’ouvrir les portes du non-sens moral…

Le démon, en l’homme, s’est échappé de la bouteille

Les intellectuels arabes qui ont défendu les attentats-suicide, soit ouvertement, soit par un discours rusé et sournois, les qualifiant de droit absolu à des fins politiques, n’ont pas uniquement pris part à la justification de crimes de destruction visant les êtres vivants, ils ont également contribué à empêcher que ne soit soulevée [la question de] la signification de la vie et de la mort dans nos sociétés.

La justification des attentats-suicide par des intellectuels considérés comme des autorités en la matière, au moyen du langage et des médias, a ouvert les portes de la peur, lesquelles ne se refermeront pas tant que nos sociétés n’auront pas fait l’expérience du néant et de l’élimination dans leurs formes absolues.

[Aujourd’hui], n’importe qui peut tuer et être tué : la bombe humaine qui ’résiste’, qui est passée de l’assassinat de l’ennemi à l’assassinat de n’importe qui ; le politicien extrémiste, qui est passé de la lutte contre le détenteur d’idées politiques adverses à l’élimination d’une société différente de lui (…) ; et l’Etat, qui n’est supervisé par personne et qui a créé un système consistant à assiéger et assassiner l’ensemble de la population par le biais d’institutions qui contrôlent le quotidien [des citoyens].

Ainsi, le démon, qui dormait… s’est échappé de sa bouteille, et tout est devenu possible. Le corps humain, autrefois régi par une mémoire biologique qui définissait la voie [à suivre] de la naissance à la mort, et par une mémoire morale qui définissait la signification de son expérience, a été laissé complètement nu. C’est devenu un corps sans mémoire, qui se suffit à lui-même, qui ne cherche plus à lutter pour le règne de la mémoire, ni à se perpétuer en assumant les risques de la vie, mais qui a pour but de se détruire et de détruire les autres. La destruction est devenue la vie du corps et le non-sens qui nie la signification de la vie et de la mort.

Nous constatons aujourd’hui que les attentats-suicide, dans lesquels nos intellectuels voyaient un moyen provisoire d’obtenir un profit politique, sont devenus une institution ayant sa propre logique, qui est la mort de toute logique.

Le nombre de ces attentats a augmenté dans plusieurs de nos pays ; leurs formes et leurs méthodes se sont diversifiées. Des hommes et des femmes se font exploser au sein d’armées munies d’armes de destruction de la technologie la plus avancée. Des enfants et des jeunes gens sont conduits par des adultes en des lieux où ils se tuent en tuant autrui. Des bombes humaines que l’on n’attendait pas frappent les cafés, les hôtels, les restaurants, les réceptions, les institutions gouvernementales, les médias, les mosquées, les églises et les transports.

Aujourd’hui, en prenant pour cibles les cortèges funéraires, ces attentats visent des domaines dont nous croyions naïvement qu’ils étaient inattaquables (…) [Mais] certains fils de nos sociétés ont dépassé toutes les frontières et écrit à l’encre de leurs corps le livre terrible du néant.

Se réduire à l’état de chose et y réduire autrui… Voilà ce qui autorise n’importe quel crime, aussi hideux et absurde soit-il 

Les auteurs d’attentats-suicide sont devenus, par ce grand acte de chosification, de nouveaux dieux ayant un contrôle absolu sur la vie et la mort. Ces dieux de ténèbre, qui ont perdu tout lien avec leur histoire, décident, en tuant leurs corps qui ne signifient plus rien pour eux, quand et comment la vie des autres arrivera à son terme.

Nous ne sommes plus simplement face à des extrémistes motivés par des objectifs politiques et religieux. Nous sommes entrés dans une phase où des attaquants-suicide narcissiques ont passé outre aux conceptions islamiques de la vie et de la mort.

Le phénomène de l’augmentation des attentats-suicide et la progression constante du nombre des bombes humaines est un malheur historique qui soulève de graves questions quant à notre capacité à répondre, de façon morale et responsable, aux questions de vie et de mort dans nos sociétés.

C’en est assez de la folie de destruction !

Face au phénomène du meurtre et de la violence absolus qui balaient nos sociétés, certains répètent encore qu’il existe des limites au néant qui nous entoure, que notre désir de survie mettra fin à l’effondrement, et qu’une conscience absolue se lèvera, de cette réalité ténébreuse où nous sommes, pour dire : « C’en est assez de cette folie destructrice ! », ramenant le désir de vivre de la société (…)

La tendance destructrice à laquelle nous ont menés les attentats-suicide (…) n’est qu’une des manifestations qui se sont enracinées dans nos sociétés, et ne sont pas moins effrayantes (…)

Ces manifestations ne sont qu’un avant-goût d’une inquiétude plus profonde, qui s’est installée dans ce que nous appelons nos vies : l’inquiétude face à un avenir incertain, face à notre incapacité à déterminer les forces qui régissent nos destinées et tranchent en matière de vie et de mort.

Pour sortir du tunnel, nous devons affronter l’indolence morale généralisée et entamer un dialogue à grande échelle sur la signification de la vie et de la mort dans nos sociétés…

Basit Ben Hasan

© Al-Awan

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(1) Al-Awan, 13 juillet 2007. http://www.alawan.com,

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Mis en ligne le 25 septembre 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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