LES TERRITOIRES PALESTINIENS : ETAT DES LIEUX

Publié le par shlomo

Par Dimitri DELALIEU, chercheur associé à l’ESISC

En guise d’introduction

Fin juin, le numéro deux d’Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, appelait le Hamas à
faire appliquer la loi islamique dans les régions appartenant aux musulmans et
à collaborer avec les combattants du Djihad dans le monde entier. Si, depuis
plusieurs semaines, le Hamas fait preuve d’un relatif pragmatisme politique en
appelant à l’unité et en reconnaissant la légitimité du président Mahmoud
Abbas, il continue néanmoins d’insuffler lentement à la population
palestinienne gazaouite son idéologie religieuse. A Gaza, plusieurs observateurs
rapportent une situation des droits fondamentaux catastrophique alors que la
Force exécutive (la police politique) de la Résistance islamique a, en quelque
sorte, adopté le modus operandi des Pasdarans iraniens.

A quelques semaines de la Conférence internationale voulue par George W.
Bush en vue de relancer le processus de paix israélo-palestinien, la situation
stagne dangereusement dans les territoires palestiniens et particulièrement à
Gaza. Le gouvernement israélien, pourtant pressé par son opinion publique –
las des tirs de roquettes sur Sderot –hésite à lancer une intervention militaire
d’envergure dans le territoire désormais entièrement contrôlé par le Hamas.
Une éventuelle opération à laquelle le Hamas se déclare prêt à riposter avec
50.000 hommes et des centaines de kamikazes.
Quoiqu’il en soit, force est de constater que le Fatah et le Hamas ont depuis
plusieurs mois déjà franchi un point de non-retour. Campant sur leurs positions
respectives, ils mettent l’un et l’autre en place leur stratégie de survie. Une
stratégie qui consiste pour le Hamas à asseoir son pouvoir, notamment par la
force, à instaurer un « régime de terreur. » Quant au Fatah, il tente de faire de la
Cisjordanie un territoire viable, autonome, un modèle pour le futur Etat
palestinien. Mais, surtout, il prépare avec détermination sa reconquête en
collaborant avec l’Etat hébreu pour éliminer les poches islamistes de
Cisjordanie et pour dissoudre les associations de charité liées au Hamas qui ont
contribué à asseoir sa popularité dumouvement islamique en Cisjordanie

La « politique » du Hamas à Gaza
 Un discours relativement conciliant envers l’AP
Alors que le discours du Fatah à l’encontre du Hamas se fait de plus en plus virulent, le
mouvement extrémiste fait preuve d’une relative retenue face aux accusations dont il est
l’objet. Et quand bien même le Hamas riposte, il le fait avec modération, en prenant soin de
rappeler qu’il reconnaît la légitimité du président de l’Autorité palestinienne, qu’il oeuvre à
rapprocher les points de vue et qu’il entend faire des concessions en vue d’obtenir un
gouvernement d’union nationale. C’est désormais une bataille des «mots », une bataille
médiatique. Le Hamas est conscient qu’il ne peut rien tenter en Cisjordanie, hormis peut-être
maintenir tant bien que mal son réseau associatif. Pour l’heure, tant la branche d’Ismail
Haniyeh que celle de Khaled Mechaal adopte une attitude modérée et pragmatique allant
jusqu’à admettre certaines erreurs dans la prise de contrôle de Gaza au mois de juin dernier.
Khaled Mechaal présentera même –certes, non pas en son nom propre mais au nom de Dieu
–des excuses pour ces « erreurs ».
Ce comportement jusqu’alors inconnu dans le chef du Hamas procède d’une stratégie visant à
garder les acquis de la prise de pouvoir et à donner au mouvement de la résistance islamique
une face acceptable aux yeux de la population palestinienne de Cisjordanie, aux yeux du
monde.
 Une propagande tous azimuts
Après Farfour, une copie conforme du personnage Mickey, qui insufflait aux enfants des
incitations à la haine telle que : « Toi et moi, nous préparons un monde qui sera dirigé par
les islamistes. Nous rendrons au monde musulman sa splendeur passée, nous libérerons
Jérusalem si Dieu le veut, nous libérerons tous les pays musulmans des assassins qui les ont
envahis »1 et qui, finalement, a été interdit, c’est Nahoul l’abeille qui a pris le relais. Lors du
premier épisode, le nouveau personnage du Hamas déclarait vouloir : « prendre le chemin de
Farfour, le chemin de l’Islam, de l’héroïsme, du martyr et des Mujahideen (…) prendre la
revanche sur les ennemis d’Allah, les assassins des prophètes et des enfants innocents
jusqu’à la libération d’Al-Aqsa de son impureté »2.
La chaîne de télévision du Hamas, Al-Aqsa TV, a ensuite décidé de diffuser un dessin animé à
destination d’un public plus large pour dénoncer le Fatah. Les partisans du Fatah y
apparaissent sous forme de rats qui infestent la Cisjordanie et Gaza, tandis que le Hamas est
représenté par un puissant lion au coeur pur. Les discours politiques durant lesquels les
responsables du Hamas dénoncent le Fatah sont désormais relayés par ce dessin animé qui,
comme l’explique Bissan Al-Cheik, vise : « ceux qui ne partagent pas le point de vue du
Hamas sur la Palestine, et auxquels le Hamas veut faire comprendre qu’il brisera leur
destin s’ils s’opposent à lui »3.
Le Dr. Riad Al Malki, ministre de l’Information du gouvernement de Mahmoud Abbas,
conscient de l’impact de la télévision sur l’opinion publique, tente de persuader les autorités
égyptiennes à renoncer à laisser le Hamas utiliser les antennes satellites du Caire pour la
diffusion de ses programmes.
1 « Et le lion du Hamas écrasa les rats du Fatah », Al-Al-Hayat, cité par le Courrier International –n°881
–20 septembre 2007.
2 Pour voir la vidéo dans son entièreté : http://www.memritv.org/clip/en/1510.htm
3 « Et le lion du Hamas écrasa les rats du Fatah », op. cit.

Musellement de l’opposition, arrestations arbitraires et «régime de
terreur »
L’affrontement direct et ouvert entre les deux groupes qui a prévalu durant la prise du
pouvoir par le Hamas est désormais terminé. Il a fait place à une lutte larvée, à un combat
plus violent et plus profond. Selon les rapports du porte-parole du Fatah à la mi-août, le
Hamas s’est rendu coupable des exactions suivantes: « fusillades, assassinats d’activistes du
Fatah à Khan Younes et Rafah, fusillade lors d’un mariage d’un membre du Fatah etc. »
Pour le Hamas, ces échanges de feu et autres incidents s’inscrivent dans la lutte qu’il mène
pour ramener l’ordre et la sécurité à Gaza. Et force est de constater que cela réussit, qu’un
calme relatif est revenu à Gaza, et que la pléiade de groupes armés ne s’affrontent plus dans
un climat d’anarchie.
Outre les arrestations de partisans du Fatah, le Hamas a notamment destitué et arrêté le Dr.
Saka, directeur emblématique de l’hôpital Shifa à Gaza. En conséquence, comme le souligne
Sami El Soudi de l’agence MENA, il est désormais difficile d’obtenir des bilans précis des
affrontements4 entre les différentes factions. Sami El Soudi nous rappelle également dans son
article que le Dr. Saka avait refusé, en dépit de fortes pressions, d’avaliser la version selon
laquelle Mohammed Al-Dura aurait été tué par les forces israéliennes le 30 septembre 2000.
Depuis la prise du pouvoir, la police politique a réprimé plusieurs manifestations. Fin août,
les forces du Hamas tiraient plusieurs rafales pour disperser une foule de centaines de
personnes manifestant contre les mesures répressives par les califes de Gaza. Le contrôle des
médias par le Hamas nous empêche aujourd’hui de disposer d’informations précises tant sur
les affrontements que sur le nombre de victimes.
Nous venons de le voir, le Hamas n’abandonne pas son combat à Gaza pour asseoir son
autorité ni son combat contre l’Etat hébreu. Les roquettes Qassam qui s’abattent
régulièrement sur la ville de Sderot en sont la preuve, bien que désormais tirées par le Djihad
islamique palestinien et non plus par le Hamas lui-même et ce, afin de préserver l’accord
conclu en novembre 2006 avec Israël. D’autre part, un attentat a été déjoué à Tel-Aviv le 22
septembre, jour de Yom Kippour, grâce à l’arrestation d’un Palestinien de Naplouse qui
travaillait dans la capitale économique israélienne. Cette intervention ciblée, qui a permis de
découvrir une ceinture d’explosifs de10 kg, a été rendue possible par une opération de plus
grande envergure menée les jours précédents par Tsahal dans le camp de réfugiés d’Ein Beit
Alma où des dizaines de terroristes, principalement issus du Hamas et du FPLP5, ont été
arrêtés.
 Prosélytisme religieux
L’islamisation est en route, un processus qui –dans sa partie la plus visible –se caractérise
par l’obligation – ou à tout le moins par l’incitation –pour les habitants de Gaza de se
conformer aux préceptes radicaux, aux codes sociaux islamiques. Ainsi, les hommes sont
incités à porter la barbe, les femmes à revêtir le voile.
Une division chargée de l’éducation religieuse des prisonniers a été créée alors que la prison
Al-Saraya de Gaza a décidé de réduire les peines de tous les prisonniers qui apprennent par
coeur cinq sections du Coran. Fin juillet, c’est un Comité légal islamique qui a été mis sur
pied. Destiné à remplacer le bureau du procureur général, il est dirigé par Marwan Abus Ras,
un député du Hamas.
4 « Négociations-Gaza : un entendement accessible mais pas à tous », Sami El Soudi, Metula News
Agency, le 6 septembre 2007.
5 Front Populaire de Libération de la Palestine.

Le Hamas sollicite régulièrement les autorités religieuses sur des questions relatives à la
gestion de l’«Etat », soit pour justifier d’un point de vue religieux des mesures à la légalité
douteuse (autoriser des écoutes téléphoniques ou des fouilles arbitraires aux domiciles
d’opposants), soit pour légitimer l’action de la Force exécutive comme police « de la
moralité ». Cette dernière, à l’instar des Pasdarans en Iran ou encore dela police politique en
Arabie saoudite, vérifie que la population respecte les codes de l’islam dans la vie
quotidienne. Son action se décline sous la forme de différentes intrusions dans la vie privée
de la population pour contrôler les bonnes moeurs. Durant le mois d’août, la Force exécutive
est intervenue tantôt pour saisir des boissons alcoolisées, tantôt pour disperser des mariages
où des : « chansons sont chantées avec une ‘’passion enflammée’’»6.
Le Hamas, en phase avec les autorités religieuses, accorde également une importance toute
particulière au statut de la femme puisque le mouvement a décidé au mois d’août de créer
une police de femmes. Cette force, toute comme la Force exécutive, sera chargée de veiller au
respect du comportement préconisé pour les femmes par la loi islamique.
Enfin, et c’est certainement le plus important, tant l’ensemble du système éducatif
traditionnel (écoles primaires, secondaires et universités) que le système informel
(mouvements de jeunesse, activités parascolaires, etc.) sont aux mains du Hamas. La
collusion entre l’enseignement, la religion et la propagande extrémiste y est prégnante.
Certaines mosquées à Gaza abritent quant à elles des réunions de la Force exécutive et
contribuent de la sorte à entretenir la connivence entre l’autorité religieuse et la force
répressive du Hamas.
En guise de conclusion
Le Hamas, bien que relativement conciliant dans son discours avec l’Autorité
palestinienne, n’en demeure pas moins décidé à poursuivre son programme
idéologique tant par la force que par l’intermédiaire des médias, des écoles ou
encore des mosquées. Il est également toujours soucieux de redorer son image
auprès de la communauté internationale en vue de récupérer les aides
économiques. Organisant des visites pour les journalistes occidentaux et
accueillant des missions de députés européens, il fait son mea-culpa et tente de
convaincre de sa volonté de dialogue avec l’AP. Par ailleurs, le mouvement
semble avoir mis de côté, du moins temporairement, les dissensions entre la
branche politique et la branche militaire en vue de faire face aux ennemis
communs.
Le Fatah, affaibli, presque dissous à Gaza, n’en garde pas moins quelques
réseaux de partisans. Ces derniers ont d’ailleurs opéré plusieurs attentats
contre des cibles du Hamas ces dernières semaines. Le Fatah fait un pari sur la
durée et tente de faire de la Cisjordanie un exemple de réussite sociale et
économique, un territoire exempt de toute organisation islamiste extrémiste,
tout en prônant le respect de l’islam puisque l’AP vient d’instaurer un police des
moeurs à Ramallah. L’idée derrière cette initiative est de contrer le Hamas sur
son propre terrain. D’un point de vue sécuritaire, la collaboration entre les
forces de sécurité fidèles au Président et les Israéliens est à son apogée tandis
que le harcèlement des militants islamistes par le Fatah continue de façon quasi
automatique. Un zèle qui ne contribue bien évidemment pas à apaiser les
tensions entre les deux groupes rivaux.
6 Rapport du Centre d’Information sur les Renseignements et le Terrorisme au Centre d’Etudes
Spéciales, le 30 août 2007 in http://www.terrorisminfo.
org.il/malam_multimedia/fr_n/pdf/islamisation.pdf

Israël, quant à lui, hésite, poussé par son opinion publique et notamment par le
ministre de la Défense Ehoud Barak, entre la tentation d’en découdre avec les
cellules terroristes responsables des attaques à la roquette Qassam et la sagesse
de ne pas frapper ouvertement le Hamas, du moins pas avant la Conférence
internationale prévue pour le mois de novembre.
Pour l’heure, il est difficile de dire combien de temps cette confrontation larvée
entre les deux frères ennemis (Hamas –Fatah) va durer. Ce dont on peut être
sûr c’est de leur détermination et des moyens qu’ils mettront en oeuvre pour
garder l’un et l’autre leurs acquis.
©2007 ESISC

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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