LES ZONES D'OMBRE DE BENAZIR BHUTTO
Benazir Bhutto est morte sous les coups du fanatisme. Il faut déplorer la mort d’une femme visée aussi parce que femme, ce qui rendait insupportable aux islamistes l'idée qu'elle pût les gouverner un jour. Femme courageuse, c’est certain. La campagne menée tambour battant, et souvent au mépris du danger, doit rester un exemple pour toute personne briguant le suffrage universel. Il est des pays dans lesquels le simple exercice de la démocratie est encore impossible. Cela devrait rendre plus chère encore, et plus digne aussi, la vie politique sur notre vieux continent. Mais, au-delà des cascades de larmes et de bons sentiments dans nos médias français, il n'en reste pas moins utile de rappeler certains faits et de s’interroger sur certaines zones d’ombres. Les circonstances de sa mort, tout d’abord Comme celle de Kennedy, il est à craindre que rien ne sera jamais élucidé. Le mode opératoire : un kamikaze; cela évoque immédiatement l’intégrisme islamiste. Primo se posait la question dès l’annonce de la terrible nouvelle. Mais plusieurs analystes admettent difficilement qu’un terroriste, le même, puisse à la fois tirer au pistolet à plusieurs reprises sur une personne relativement protégée, pour ensuite actionner la bombe qu’il porte sur lui. Cela ne ressemble pas au kamikaze "ordinaire". Il a fallu une formation particulière pour cela. Il lui a fallu apprendre à se fondre dans la foule, ne pas laisser transparaître ses sentiments vis-à-vis des gardes du corps, à manier une arme et surtout savoir tirer sans hésitation sur une personne, non sur une cible en bois. Il lui a fallu attendre le bon moment, sauter sur le capot arrière du véhicule en marche alors qu’un garde du corps s’y trouvait déjà, tirer sur Madame Bhutto alors qu’elle sortait la tête par le toit ouvrant de sa voiture blindée, la toucher par deux fois pour ensuite actionner le mécanisme de sa bombe. Les reportages des chaînes de télévision sont à cet égard éloquents. (visionner) Cela n’est pas dans les possibilités d’un kamikaze "ordinaire", lequel est plutôt frustre dans le « modus operandi », ce qui, malheureusement, ne nuit en rien à son efficacité. Il faut donc en conclure, soit que l’entrainement des islamistes intégristes a évolué, soit que cet attentat a une autre origine que la mouvance extrémiste. Et il reste tout autant possible que cela soit un peu des deux à la fois dans ce Pakistan compliqué. Il faut donc se méfier des affirmations péremptoires allant dans un sens ou dans un autre. Comme il faut également prendre avec prudence les causes même de la mort de Benazir Bhutto. D’abord annoncée saine et sauve par les agences de presse, il a fallu se rendre à l’évidence : elle a succombé à ses blessures à l’hôpital. Mais quelles blessures ? Les uns affirment qu’elle est morte d’une balle dans le cou, d’autres dans la tête. Les chirurgiens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le nombre de projectiles ayant atteint leur cible. Un porte-parole du Ministère de l’Intérieur pakistanais affirme même qu’aucune trace de balle n’a été retrouvée sur son corps. Cheema a indiqué que l'ex-Premier ministre n'avait pas été atteinte par des balles, ni par des débris projetés par l'explosion, mais qu'elle avait été mortellement blessée lorsque, sous le souffle de la déflagration, sa tête a heurté un levier du toit ouvrant de son véhicule. Qui a intérêt à propager ces rumeurs qui désignent, bien évidemment, l’un ou l’autre camp dans ce Pakistan divisé, selon les affinités électorales ? Les autres facettes de Benazir Bhutto Tour à tour désignée comme femme libre, unique chance d’un Pakistan en déroute et soumis au régime militaire de Musharraf, icône de la lutte pour la démocratie et les droits de l’homme, championne du combat contre le fanatisme, elle est certainement un peu de tout cela. Seuls les historiens pourront analyser, avec le recul nécessaire, l’évolution idéologique de cette femme hors du commun. Ces deux derniers mois, elle menait campagne contre les islamistes; mais bien peu se souviennent qu’en tant que Premier ministre, elle avait signé un pacte avec les plus radicaux d’entre eux. C’était en 1994, lors de son second mandat, avec la « Jamiat Ulema-e-lslami », mouvement sunnite qui avait comme seul projet politique de faire périr incroyants et chiites confondus. La même année, son gouvernement a assuré l’approvisionnement des Talibans en armes, munitions et carburant, participant ainsi à leur prise de pouvoir à Kaboul. Bien qu'elle fut championne de la liberté et de l’émancipation de la femme, personne ne se souvient pourtant qu'une quelconque loi en faveur des femmes ait été proposée lors de ses deux passages aux responsabilités (de 1988 à 1990, puis de 1993 à 1996). Nos démocraties occidentales, pour lesquelles l’audiovisuel fait foi, ont pris pour argent comptant les images des foules qui l’ont accompagnée à sa descente de l’avion. Mais seuls quelques connaisseurs du Pakistan savent que la rue était relativement indifférente à son programme et sa candidature. Réunir quelques milliers de personnes pour un meeting n’est pas si difficile que cela dans un pays de 160 millions d’habitants où manifestations de masse et montées de la ferveur sont simples à organiser. Elle avait également fait vœu de lutter contre la pauvreté. Les Pakistanais parmi les couches sociales les plus défavorisées ne se faisaient aucune illusion sur ses promesses. Premièrement parce que la famille Bhutto est richissime, qu’elle fait partie d’une caste de familles privilégiées qui n’a jamais accepté de se départir de la moindre once de richesse pour lutter contre la pauvreté à sa porte. Ces familles tiennent le Pakistan depuis des décennies. Secundo, Benazir Bhutto elle-même n’a jamais tenté de réduire les inégalités sociales lorsqu’elle était aux affaires. Bien au contraire, elle a contribué à une inégalité de traitement entre les provinces, favorisant le Pendjab pour amadouer les islamistes. Ce faisant, elle s’est attiré la colère des autres provinces. Elle est fortement soupçonnée d’avoir participé à la corruption généralisée en laissant ses proches prélever leur part dans les contrats internationaux. C’est parce que la Justice s’approchait d’un peu trop près de ses affaires qu’elle a fui une seconde fois le Pakistan pour se réfugier à Dubaï, en 1998. Les Pakistanais de la rue avaient coutume d’appeler son mari « Monsieur 10% ». Il était en charge de la gestion de contrats internationaux. Il n’est donc pas exagéré de dire que Benazir Bhutto disposait d’une bien meilleure image à l’étranger que dans son propre pays. Elle aurait sans nul doute pu gagner les prochaines élections, et facilement, mais plus par dépit de la part d’une population exsangue, lassée par les attentats-suicides (environ 800 morts en 2007), les conflits larvés avec le voisin indien et usée par des années de misère. Benazir Bhutto avait compris beaucoup de ses dernières années passées en exil. Elle avait su s’attirer les bonnes grâces internationales en militant contre le fanatisme musulman, le sexisme, l’extrémisme. Sans aucun doute, devant le péril, était-elle devenue plus consciente du danger encouru par la planète ! Mais il sera toujours permis de préférer l’engagement infaillible de Aung San Suu Kyi face à la junte birmane. Avec la récompense de son prix Nobel de la Paix (1,3 millions de dollars), elle a créé un fonds pour un système de santé et d'éducation populaire. Il sera également permis de préférer la détermination de Taslima Nasreen et de Wafa Sultan dès lors qu’il s’agit de dénoncer les extrémistes, le courage de Hayaan Hirsi Ali pour dénoncer les atteintes aux valeurs des Lumières. Reste que Benazir Bhutto aura fait preuve d'un immense courage dans les derniers mois de sa vie pour avoir défié, sur les terres par excellence de l’Islam radical, l’obscurantisme et la terreur. Elle nous laisse en guise de testament cette déclaration brûlante : "Je n’ai pas vécu jusqu’à mon âge pour me laisser intimider par des kamikazes. Une bataille fait rage pour l’avenir du Pakistan en tant que nation démocratique. La nouvelle génération choisira la modération ou l’extrémisme, l’éducation ou l’illettrisme, la dictature ou la démocratie, la tolérance ou la bigoterie, la paix ou la guerre". Cet événement tragique ouvre une boîte de pandore. Bien malin celui qui pourra désormais prévoir la suite. Mais tout le monde s’accorde à dire que tout devrait se précipiter dans les semaines qui viennent. Nous ne sommes certainement pas au bout de l’horreur. Les élections qui se tiendront le 8 janvier ne vont rien résoudre. Pour l’instant, la "Bête immonde" a gagné une autre manche. Paul Lémand © Primo, 29/12/2007 | ||
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Auteur : Paul Lémand Date d'enregistrement : 29-12-2007 |