LE HEZBOLLAH OSERA-T-IL DEMANDER LE DIVORCE AVEC DAMAS ?
Khaled Asmar - Beyrouth
Dans sa mort, comme dans sa vie, Imad Maghnieh embarrasse le Hezbollah
jeudi 14 février 2008 - 01h00, par Khaled Asmar
Plus de 24 heures sont passées sans que le grand mystère autour de l’explosion de Damas, en Syrie, ne soit dissipé. Des questions fondamentales restent sans réponses, et toutes les hypothèses évoquées au Liban et dans le monde sont embarrassantes pour le Hezbollah, et pourraient l’obliger à modifier ses relations avec la Syrie.
Imad Maghnieh était l’un des co-fondateurs et un pilier du Hezbollah depuis sa création en 1982. Outre son rôle dans la militarisation de la « Résistance islamique », considérée par un bon nombre de pays de « résistance légitime contre l’occupation israélienne », Maghnieh était aussi l’instigateur, le planificateur et l’exécutant des plus importantes opérations terroristes menées par le Parti chiite au Liban, dans les pays arabes (attentat de Khobar en Arabie saoudite et deux attentats au Koweït) et dans le monde (Argentine, et détournement d’avions). Au cours des dernières années, surtout après l’interdiction de sa chîne Al-Manar dans plusieurs pays occidentaux, le Hezbollah s’est employé à améliorer son image et à se débarrasser de sa caractéristique première : « le terrorisme ». C’est ainsi que le nom de son chef militaire, terroriste par excellence, a quasiment disparu des médias, bien que les connaisseurs ont suivi ses agissements en coulisses. Maghnieh s’est ainsi retrouvé en Irak, où il a été mandaté par les Gardiens de la Révolution iranienne pour mettre sur pied les milices chiites à Bassorah (antenne irakienne du Hezbollah, dès décembre 2003). Auparavant, il avait joué un rôle important dans le repli des chefs d’Al-Qaïda d’Afghanistan vers l’Iran... Des activités que le Hezbollah peut naturellement ne pas revendiquer.
Après le retrait israélien du Liban en mai 2000, et surtout depuis le vote des résolutions 1559 et 1701 du Conseil de sécurité (2004 et 2006), le Hezbollah a perdu son statut de « Résistance » et a gardé celui de « terroriste ». Hassan Nasrallah a alors mis tous ses moyens dans la bataille pour inverser la donne. Il s’est appuyé notamment sur une certaine presse nationale, créée pour la circonstance, et internationale. Il a « acheté » les services de certains journalistes peu crédibles et sans scrupule. Il a surtout exploité le Courant Patriotique Libre (CPL) du Général Michel Aoun pour se donner une nouvelle virginité, et se doter d’une « libanité » qui lui fait défaut cruellement. Mais en vain. Toutes ces tentatives ont échoué.
Selon cette lecture, Imad Maghnieh était devenu, durant les dernières années, très encombrant pour le Parti de Dieu. Mais son éliminaion à Damas est encore plus embarrassante pour le Hezbollah. Et ce, pour plusieurs raisons :
Le quotidien koweïtien « Al Seyassah » croit savoir, dans son édition du 14 février, que la voiture de Maghnieh a explosé peu après la fin d’une réunion sécuritaire tenue à l’école iranienne, dans le quartier de haute sécurité de Kafar Soussa (à l’ouest de Damas, sur la route qui mène au Liban). Cette réunion aurait été convoquée par Assef Chawkate, le beau-frère du président Assad et chef des Services syriens. Selon le journal koweïtien, « la réunion a regroupé autour des responsables syriens, des représentants du Hamas et du Jihad islamique palestiniens, ainsi que du Hezbollah libanais, dont Khaled Mechaal (Hamas) et Imad Maghnieh. Ils auraient passé en revue les cibles potentielles à frapper, dans les pays arabes, si ces derniers refusaient de participer au sommet arabe de Damas prévu fin mars ». « Durant cette réunion, la voiture de Maghnieh aurait été piégée », ajoute le quotidien, exactement comme la voiture d’Elie Hobeïka avait été piégée à Anjar, alors qu’il été invité à dîner par Rustom Ghazalé, en février 2002.
D’autres observateurs ont noté le silence douteux des autorités syriennes, entre l’heure de l’explosion et l’annonce de la mort de Maghnieh. Plus de neuf heures ont en effet été nécessaires pour « identifier la victime » et trouver le « meilleur scénario » pour annoncer son martyre, sans oublier de désigner le responsable : Israël, le Mossad et les Etats-Unis.
Plusieurs sources ont lié la présence en Turquie d’Ehud Barak, le ministre israélien de la Défense, et l’attentat contre Maghnieh. En arrivant à Ankara, Barak avait insisté sur « la nécessité de relancer les négociations de paix avec la Syrie, le volet palestinien étant de plus en plus compliqué depuis le coup d’Etat du Hamas à Gaza ». Cet appel du pied à Damas faisait suite à une série de réunions entre des responsables syriens et israéliens tenues en Turquie. Pour prouver sa disposition à « désarmer le Hezbollah et à le décapiter », la Syrie aurait sacrifié Maghnieh sur le champ.
Ces trois hypothèses devraient faire réfléchir le Hezbollah, le réveiller et lui ouvrir les yeux sur le danger de la manipulation syrienne. Si la direction du Parti chiite a un « grain de fierté, et beaucoup de courage », elle doit prononcer immédiatement le divorce d’avec le régime syrien qui négocie sur sa tête. D’autant plus qu’il ne s’agit pas de la première fois que la Syrie exploite ses alliés avant de les éliminer. Le Courant Chiite Libre, de l’ouléma Mohammed Hajj Hassan, a d’ores et déjà appelé le Hezbollah à « revoir son alliance avec Damas » et à « adhérer définitivement au Liban », affirmant que l’élimination de Maghnieh n’est qu’« un accompte versé par la Syrie à Israël, dans le cadre d’un accord entre les deux pays ».
Le plus embarrassant pour le Hezbollah dans l’assassinat de Maghnieh sera sans doute l’hypothèse évoquée à grande échelle à Beyrouth. En effet, plusieurs responsables libanais craignaient des attentats avant et pendant la commémoration du troisième anniversaire de l’assassinat de Rafic Hariri, ayant à l’esprit les attentats de Aïn Alak du 13 février 2007. Certains estiment ainsi que l’explosion de Damas a pu être accidentelle, ou comme disent les spécialistes, un « accident de travail ». Cette hypothèse suppose que Maghnieh, détenteur d’un passeport diplomatique iranien, devait introduire la voiture piégée au Liban en passant à travers les mailles du filet sécuritaire grâce à son vrai-faux statut diplomatique. Elle aurait explosé avant l’heure. Ces soupçons sont alimentés par une autre donnée technique : parmi les multiples voitures piégées qui ont explosé au Liban, ces dernières années, figurent plusieurs Pajero semblables à la voiture qui a explosé à Damas.
Cette hypothèse est embarrassante à la fois pour le Hezbollah et pour la Syrie. Car, elle conduit directement à une conclusion très simple : les attentats commis au Liban depuis octobre 2004 (contre Marwan Hamadé) sont tous l’œuvre de la Syrie, avec la contribution technique et logistique du Hezbollah, du moins de l’un de ses chefs militaire, Imad Maghnieh.
Pour toutes ces raisons, les Libanais sont de plus en plus nombreux à dénoncer « l’Etat » du Hezbollah dans l’Etat libanais. Ce qui explique aussi l’attachement des Libanais au Tribunal international, et leur mobilisation ce 14 février pour le rappeler. A l’inverse, l’implication du Hezbollah ainsi dévoilée - accidentellement - justifie son entêtement et celui de ses alliés (Nabih Berri, Michel Aoun, Sleiman Frangieh et tous les agents de la Syrie) à obtenir le tiers de blocage au gouvernement. Leur objectif étant de saper la justice. Enfin, ces éléments expliquent l’hémorragie qui frappe le Courant Patriotique Libre, les Chrétiens ayant enfin compris la supercherie et du Général Aoun.
Khaled Asmar - Beyrouth