FREDERIC ENCEL EN QUESTIONS
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par David Amsellem pour Guysen International News |
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Frédéric Encel est docteur en géopolitique et spécialiste du Proche-Orient. Il est également maitre de séminaire à Sciences Po Paris, directeur de recherche à l'Institut français de géopolitique et professeur de relations internationales (ESG). Il a publié de nombreux ouvrages sur ces questions, dont le dernier en date : "Atlas : Géopolitique d’Israël" |
Commençons par les activités terroristes dans le sud du pays. Pensez vous que le retrait de Gaza en 2005 a été une bonne chose, malgré les tirs de roquettes incessantes sur Sdérot et ses alentours ? Je reste convaincu qu’il fallait se retirer. D’abord, parce que durant l’occupation israélienne, des soldats mouraient régulièrement. Et malgré ce que l’on peut penser, Gaza fait moins de victimes aujourd’hui. Ensuite, le Hamas a toujours tiré des roquettes depuis la Bande de Gaza. Certes moins, mais la situation actuelle aurait, quoi qu’il arrive, laissé prévoir ces tirs sur Israël. L’étanchéité de la frontière avec l’Egypte d’une part, et le blocus maritime imposé d’autre part, étouffent les palestiniens. Cette situation est généralement propice au développement de l’activité terroriste. Donc non, le retrait de Gaza n’était pas une erreur. Mais fallait-il le faire de manière unilatérale ? Je reste assez tempéré sur la question. A l’époque, le retrait ne pouvait être qu’unilatéral puisqu’avec Yasser Arafat au pouvoir, aucune négociation n’était possible. Mahmoud Abbas est, pour ma part, plus modéré, et les choses auraient peut être différentes s’il avait été au pouvoir à l’époque. A propos de Mahmoud Abbas, il semble parfois très virulent à l’égard d’Israël. Par ailleurs, les accords d’Annapolis ont du mal à avancer et il semble toujours incapable de mettre fin à l’activité terroriste. Est-il toujours un bon partenaire pour Israël ? A mon avis, si lui ne l’est pas, personne ne le sera. Pour Annapolis, ce n’est pas le seul responsable du ralentissement des pourparlers. Le gouvernement israélien, et notamment la faiblesse de la coalition menée par Ehoud Olmert, n’aide pas non plus les choses. Je reste assez optimiste quant à la volonté et aux réelles intentions de Mahmoud Abbas. Ne serait-ce que pour sa détermination de vouloir écarter les groupes terroristes du pouvoir. Certaines sources israéliennes ont laissé entendre qu’Israël prévoyait d’entrer en guerre contre le Hamas, dans la Bande de Gaza, cet été, au motif que la situation dans le sud du pays est inacceptable. Quel crédit donnez-vous à ces sources ? Je pense sincèrement qu’Israël ne déclenchera pas une guerre avec le Hamas cet été. Cela pour deux raisons : D’abord, Ehoud Olmert est trop faible politiquement et sa coalition est déjà trop fragilisée. Ensuite, d’un point de vue militaire, la seule manière efficace de lutter contre le Hamas est d’envoyer l’armée en masse ‘nettoyer’ Gaza de ses terroristes, maison par maison. Une opération de ce type serait extrêmement coûteuse en vie humaine. Tsahal ne peut se le permettre, surtout pas après le semi-échec de la guerre du Liban en 2006. Enfin, l’objectif d’une telle guerre est presque irréalisable. Comment garantir que plus une seule roquette ne tombera sur Sdérot ? C’est pour ces raisons que je reste très sceptique quant au déclenchement d’une guerre cet été. Au front nord cette fois, on remarque depuis quelques temps des tensions entre la Syrie et Israël. Damas peut-il réellement déclarer la guerre à Israël ? A ce sujet, je suis catégorique. La Syrie ne peut absolument pas déclarer la guerre à Israël. Et ce, pour une raisons évidente : l’armée syrienne est qualitativement et quantitativement bien inférieure à celle d’Israël. De surcroit, Israël reste le maitre incontestable de l’espace aérien dans la région, ce qui ne laisse que peu de chance à la Syrie en cas d’affrontement. Alors pourquoi la Syrie provoque-t-elle Israël ? Pour un usage interne. A mon sens, la Syrie reste une "coquille vide". Elle veut jouer un rôle au Moyen-Orient mais n’en a pas les moyens. Israël n’a pas à s’inquiéter de la Syrie. Evoquons maintenant le cas des arabes israéliens. Pense-vous qu’ils constituent une 5ème colonne au sein de la démocratie israélienne ? A mon avis, les arabes israéliens ne sont pas une 5ème colonne pour Israël, à l’heure actuelle. Je m’aventurerais même à parler d’une certaine loyauté. En effet, le 1er acte terroriste d’un arabe israélien contre Israël remonte à 1995… cela reste tout de même assez ancien. Toutefois il est vrai, que depuis, cela est beaucoup plus fréquent. Mais qu’attendons-nous des arabes israéliens ? Qu’ils soient de fervents sionistes ? Cela me paraît peu probable… D’un point de vue politique, ils n’ont qu’un très faible poids au parlement israélien. La démocratie israélienne ne risque pas d’être renversée par cette minorité. Donc non, les arabes d’Israël ne sont pas une 5ème colonne, mais ils peuvent le devenir. A quel moment ? Le cas d’une guerre étatique classique, opposant Israël aux armées arabes régionales serait le moment le plus probable, et le plus dramatique pour Israël. A ce moment là, Israël pourrait craindre un soulèvement massif de cette population qui se livrerait à des actes de sabotages, d’espionnages, ou de tueries contre Israël… Mais on est encore bien loin de ce scénario. De manière générale, et à l’approche des 60 ans de l’Etat d’Israël, le pays doit il toujours craindre pour sa survie ? Israël est, à mon sens, en état de survie potentielle. Je m’explique. Israël ne doit plus craindre pour sa survie d’un point de vue démographique et économique puisqu’à ces niveaux, l’Etat hébreu est une véritable puissance. Et ce, malgré les attaques tactiques tels que les tirs de roquettes sur Sdérot ou les attentats terroristes. Aujourd’hui, tout le problème de la survie d’Israël, réside dans les attaques stratégiques auxquelles le pays doit faire face, c'est-à-dire, des agressions générales et de plus grandes envergures. A ce sujet, le nucléaire iranien semble être la menace la plus probable dans les prochaines années. Les avancées de la République Islamique en la matière laissent croire que le pays se dotera prochainement de l’arme ultime. Qu’en pensez-vous ? Pour ma part, je pense que l’Iran ne se dotera pas de l’arme nucléaire. Du moins, pas ce gouvernement là. Le vrai problème de la bombe atomique est de savoir quel gouvernement la détient réellement. Alors oui, si Mahmoud Ahmadinejad, largement antisioniste, détient l’arme, il y a un risque pour Israël. Mais si les mollahs sont remplacés par un régime démocratique, modéré, et ouvert au monde, peu importe qu’ils aient la bombe. Le Pakistan détient l’arme et ne reconnait toujours pas Israël… Qu’est ce qui vous fait penser qu’Ahmadinejad n’aura pas la bombe atomique ? L’Amérique a des alliés très précieux dans la région, bien plus qu’on ne le pense. Israël est certes un de ses alliés privilégiés, mais l’Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unis le sont également. Et pas seulement en termes de ressources naturelles. Les Etats-Unis ont tout intérêt à dissuader l’Iran de manière très ferme pour protéger et rassurer ses alliés moyen-orientaux. Les déclarations sur le sujet des deux candidats démocrates, Hillary Clinton et Barack Obama, vont d’ailleurs dans ce sens. Ils se sont positionnés très fermement à ce sujet. Bien sûr, ils ont conscience qu’il en va de l’intérêt des Etats-Unis dans la région. C’est pour ces raisons que l’Amérique reste très ferme sur la question. L’Union Européenne est également très sévère sur ce sujet et se plie à toutes les résolutions de sanctions de l’ONU. La France également puisqu’à l’Elysée nous avons un président qui est tout autant attentif à la question que le président américain. |