Le Hezbollah, arme autonome du système multiconfessionnel libanais

Publié le par shlomo


  par Me B. Ramas-Muhlbach
israelinfos.net

Ce 6 mai 2008, le gouvernement libanais a, malencontreusement, pris deux mesures à l’encontre du parti politique Hezbollah (« le parti de Dieu »). Tout d’abord, il a été décidé d’enquêter sur son réseau de télécommunications parallèle jugé trop indépendant du pouvoir central.

Par ailleurs, il a été envisagé de limoger le chef de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth suspecté d’être un proche de l’organisation islamiste. Ces décisions ont été très mal accueillies par le Hezbollah qui les a considérées comme une véritable « déclaration de guerre ». Aussi, pour contrer cet affront, les membres de l’organisation chiites ont-ils décidé de prendre le contrôle de l’ouest de Beyrouth et de chasser les partisans sunnites du gouvernement.

Le coup de force a été fructueux puisqu’à l’issue des combats sanglants qui se sont soldés par la mort de 65 personnes (outre 200 blessés), le gouvernement libanais a finalement capitulé le 14 mai 2008 en annulant les deux mesures contestées. Il s’agit bien évidemment d’un échec cuisant pour le gouvernement libanais incapable de gérer et garder le contrôle de la situation, mais ces désordres illustrent la paralysie du système multiconfessionnel libanais. En effet, comme le chef des armées (Michel Souleïmane) est un chrétien maronite, le chef d’Etat Major (Shawki AlMasr), un druze, le chef de la Sûreté générale (Wafiq Jizzini), un Chiite et le chef des Forces de sécurité intérieure (Achraf Rifi), un Sunnite, l’armée libanaise n’a eu d’autre rôle à jouer que celui de force d’interposition entre les groupes confessionnels pendant les quatre jours d’émeutes.

Naturellement, il n’était pas admissible de laisser le Hezbollah (qui a finalement réussi à conserver son système de télécommunication) apparaître comme le maître incontesté de la politique libanaise. Aussi, la Ligue Arabe a-t-elle conclu un accord avec les protagonistes libanais sur la base de 6 principes : élection à la présidence du pays du chef de l’armée le général Michel Souleimane, consolidation de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, mission de contrôle de la paix civile confiée à l’armée, levée du campement du Hezbollah installé dans le centre de Beyrouth (depuis novembre 2006), engagement de la milice chiite de ne plus utiliser les armes contre les libanais et promesse de s’abstenir de tout discours de nature à attiser les relations interconfessionnelles.

En réalité, si les mesures ont permis de rassurer les populations civiles, il n’est pas certain que l’accord conduise à une pacification de la région compte tenu de la puissance et de l’influence acquise par Hezbollah sur la scène politique libanaise au cours des 30 dernières années.

A l’origine (dans les années 80), le mouvement fondamentaliste religieux n’était qu’une organisation militaire de résistance à l’occupation israélienne du Sud Liban (juin 1982). Par la suite, le parti religieux a abandonné son objectif (consistant dans l’établissement d’une république Islamique au Liban) pour se présenter comme un parti politique soutenant le principe d’un pouvoir démocratique pluriconfessionnel garantissant (théoriquement) une participation équitable des communautés dans la gestion politique de l’Etat.

En réalité, le Hezbollah n’a jamais respecté la souveraineté de l’Etat libanais. Tout d’abord, il a toujours conservé sa milice privée et son armement propre (extérieurs aux forces armées officielles gouvernementales) et ce, même après le retrait des forces syriennes en 2005 faisant suite à l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri.

Sur ce point, le Hezbollah n’a jamais accepté de respecter la résolution 1559 du Conseil de Sécurité (prise le 2 septembre 2004) appelant à la dissolution et au désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises.

Par ailleurs, le mouvement chiite religieux a toujours conservé son autonomie par rapport au gouvernement libanais pour mieux combattre les israéliens en avançant qu’Israël ne se serait pas intégralement retiré du Liban (conformément aux résolutions 425 et 426 du conseil de sécurité, adopté en 1978). En réalité, à supposer que le territoire des fermes de Chebba appartienne au Liban (ce qui est historiquement faux), c’est théoriquement au gouvernement libanais souverain qu’il appartient de régler le problème et non à la milice privée du Hezbollah.

En outre, le Hezbollah a toujours disposé d’une manne financière considérable (avec la Syrie et l’Iran qui lui allouent un budget estimé entre 20 et 120 millions de dollars annuel). Par ailleurs, il dispose d’un réseau de communication avec sa chaîne de télévision « Al manar », ses organes de presse (dont la radio Al Nour), et ses institutions sanitaires et éducatives (hôpitaux, écoles, orphelinats.), qui lui ont permis d’accéder à l’assemblée nationale lors des élections législatives de mai juin 2005.

Enfin, rappelons encore que l’indépendance du Hezbollah à l’égard du pouvoir central se traduit encore par le contrôle des institutions judiciaires dans son quartier général du faubourg de Haret Hreik au sud de Beyrouth ou encore par la diffusion de ses propres valeurs et principes philosophiques, même s’ils sont incompatibles avec les valeurs du système démocratique libanais. Il en est ainsi par exemple de la doctrine du martyr selon laquelle chaque jeune chiite doit recevoir, dès son plus jeune âge, une éducation basée sur l’idéal du martyr (incarné par l’Imam Hussein lors de la bataille de Kerbala en 680). Plus précisément, la lutte contre l’ennemi exige un don de soi pour permettre une efficacité maximum de l’action.

D’ailleurs, selon la doctrine chiite, c’est un honneur et un privilège suprême que de se sacrifier par amour du « Tout puissant » d’autant que dans l’hypothèse où le candidat fait preuve de d’abnégation, un bonheur éternel lui sera offert dans la vie de l’au-delà. (Naturellement, l’occident qui sacralise la vie matérielle n’est pas en mesure d’assimiler le sens du martyr ni le sens spirituel de l’orient nation de l’islam car la compréhension de ce sens nécessite de côtoyer la vie des moudjahiddines et les réalités de la société islamiques en général...)

Il n’est donc pas surprenant que le Hezbollah ait annoncé à la suite des évènements qu’il ne désarmera jamais et se réservera encore dans l’avenir, d’invoquer son droit à « la désobéissance civile » comme ce fut le cas lors du blocage de l’aéroport de Beyrouth. D’ailleurs, la normalisation actuelle de la situation n’est qu’un leurre car en dépit de l’intervention de la Ligue Arabe, des tensions sont demeurées persistantes entre les groupes confessionnels telle une discussion politique engagée le 15 mai 2008 dans un village de l’est du pays entre partisans des camps rivaux qui a dégénéré, et provoqué la mort d’un partisan de la majorité (tué par balle) et la blessure d’un autre.

L’Etat d’Israël se doit donc de tirer les leçons d’une telle exploitation, par l’organisation chiite, du système démocratique libanais. Tout d’abord, l’interdiction faite au Hezbollah de recourir aux armes ne concerne que les relations avec les libanais et non celles avec les israéliens. Ainsi, le Hezbollah conservera son statut de « bras armé » de l’Islam pour (tenter) de défaire l’entité sioniste. Par ailleurs, dans la conception islamiste, la démocratie n’est pas un instrument pour faire fleurir une société multiconfessionnelle mais juste le moyen de la faire disparaître.

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article