L'imposture de la "protection" par le Kremlin
Libre opinion parue dans le Wall Street Journal, Page A15
Texte original anglais : "The Kremlin's 'Protection' Racket".
Version française (corrigée par mes soins) reprise d’une page Web de Pasta.cantbedone
L'invasion de la Géorgie sera un moment décisif pour la crédibilité de l'Amérique et pour la stabilité du monde. Si le régime Medvedev —ou plutôt Putin— réussit, en employant la force, à renverser un gouvernement démocratique et pro-occidental, au prétexte transparent de "protéger" la population de Géorgie contre son propre état, la scène aura été dressée pour des agressions semblables contre les autres États –de la Baltique à l'Ukraine, qui sont voisins de la Russie mais qui regardent du côte de l'Occident et de la liberté. Aux dangers de l'après-11 septembre s'ajouteront les défis d'une nouvelle guerre froide.
Certains Tchèques ont bien accueilli l’invasion de Hitler
La Russie est parfaitement au courant de ces réminiscences dangereuses. C'est pourquoi elle a maquillé cette agression en une initiative conforme à la justice internationale contemporaine.
Ses dirigeants et leurs porte-parole (y compris Mikhaïl Gorbatchev) ont faussement accusé les dirigeants géorgiens d'avoir violé le droit international dans les régions d'Ossétie du sud et d'Abkhazie, lesquelles auraient des populations "russes" en raison de la distribution extralégale de passeports russes dans ces territoires.
Le Président Dimitri Medvedev a appelé à des "poursuites pénales" contre les auteurs de ces prétendus délits et Vladimir Putin a prétendu que si "[on a pendu] Saddam Hussein pour avoir détruit plusieurs villages chiites" les dirigeants géorgiens seraient coupables de bien plus.
Les cyniques sans scrupules du Kremlin ont appris le langage de l'humanitarisme mondial.
Ce discours sur la "protection" était déjà un prétexte favori pour l'expansion tsariste au XIXe siècle. C'est l’invocation des mêmes raisons que l'Allemagne avait mise en avant pour annexer le territoire des Sudètes en 1939.
Les affirmations actuelles du Kremlin ne sont pas plus crédibles que ses justifications miteuses pour l'invasion de la Hongrie en 1956, de la Tchécoslovaquie en 1968, et de l'Afghanistan en 1979.
Les assertions russes, selon lesquelles les forces géorgiennes auraient provoqué le conflit en attaquant les troupes russes, rappellent Hitler racontant que son invasion de la Pologne, en 1939, aurait été justifiée par des attaques polonaises contre les Allemands. C'est particulièrement cocasse étant donné le penchant du Kremlin à comparer le président géorgien Mikheil Saakachvili à Adolf Hitler.
L'adoption soudaine, par Moscou, d'une "souveraineté limitée" pour la Géorgie ne cadre pas avec les protestations antérieures de la Russie à propos du caractère sacro-saint de sa propre souveraineté, et son insistance obstinée à prétendre qu'elle aurait le droit d'agir sur son territoire comme elle le juge bon.
L’inquiétude moscovite à propos des soi-disant atrocités et génocide apparaît également comme ridicule au regard de l'indifférence endurcie du gouvernement de Russie envers les génocides, trop réels, commis par ses alliés en Irak, dans l'ex-Yougoslavie, ainsi qu'au Rwanda et au Darfour - pour ne pas rien dire de l'exceptionnelle brutalité des campagnes militaires moscovites en Tchétchénie.
Comme on pouvait s'y attendre, MM. Putin et Medvedev prétendent aussi que leurs actions en Géorgie ne seraient pas différentes du comportement des Occidentaux à l’égard de l'Irak et de l'ex-Yougoslavie. En conséquence, ils ont exigé la démission du Président Saakachvili.
Le but manifeste de Moscou est de substituer un gouvernement aux ordres de la Russie au gouvernement pro-occidental, à la fois par l'action militaire et en discréditant la direction politique géorgienne par de fausses accusations de crimes de guerre et de génocide.
Par le biais de cette hypocrisie, la Russie pourrait bien essayer d'imposer un nouveau système de règles internationales, où Moscou serait libre d'intervenir à volonté dans sa "zone étrangère proche", tandis que les États-unis joueraient les spectateurs. Ces prétentions, qui rappellent la doctrine Brejnev, laquelle postulait que Moscou avait le droit d'employer la force pour préserver son empire, sonnent particulièrement creux au XXI° siècle.
L'attaque moscovite contre la Géorgie n'est qu'un élément d'une campagne plus vaste contre ses ennemis réels et supposés, mission qui est menée sans le moindre égard pour les principes établis du droit international.
Cette campagne comprend l'annexion de facto de l'Ossétie du sud et de l'Abkhazie - qu'il faut désormais considérer comme des "Territoires Occupés", qui relèvent de la Quatrième Convention de Genève.
Elle inclut aussi des attaques informatiques contre les États baltes, des assassinats d'État contre des personnes dans des pays occidentaux, et le chantage économique, comme l'interruption récente des fournitures de pétrole et de gaz de la Russie vers l'Ukraine ou la République tchèque.
Il importe que Moscou paie un prix concret et tangible pour sa dernière agression, et que ce prix soit au moins comparable à celui qu’elle a payé pour l'invasion de l'Afghanistan, en 1979.
Le refus de visa pour toute personne liée à l'Etat russe, et une activité vigoureuse de surveillance et d'enquêtes des firmes moscovites appartenant à l’Etat serait un bon point de départ.
Étant donné les incertitudes historiques en Russie, et le désir des ploutocrates russes de voyager librement dans l'ensemble du monde, de faire élever leurs enfants en Occident, et de détenir des actifs à l'étranger, ces modestes mesures seraient remarquablement efficaces. La candidature de la Russie à l'OMC [Organisation Mondiale du Commerce] doit également être bloquée, et sa participation au G-8, suspendue.
Le gouvernement Bush doit aussi entreprendre avec vigueur de récuser toute légitimité aux prétentions juridiques et politiques de Moscou, et défendre sans réserve le Président Saakachvili.
Nous devons établir un contraste des plus nets entre le rôle dirigeant des États-unis pour assurer l'indépendance du Kosovo - une atteinte à la souveraineté de la Serbie, provoquée par les génocides et crimes de guerre effectifs de la Serbie – et l'encouragement cynique, par Moscou, de mouvements sécessionnistes [comme Belgrade l'avait fait en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, et tente encore de le faire au Kosovo] dans des pays qui avaient fait partie de l'Union soviétique, une manoeuvre qui a pour but de rétablir la domination impérialiste de la Russie.
Sur ce point, John McCain a déjà joué un rôle dirigeant en se positionnant rapidement aux côtés du Président géorgien et en condamnant les agissements de la Russie comme une nouvelle forme d'impérialisme.
Tout en réfutant les affirmations de Moscou pour les événements actuels, les États-unis doivent également pousser à une révision des comptes de l'histoire.
L'histoire de la Russie a une portée directe sur sa crédibilité. Nous devons rappeler au monde que la Russie refuse de reconnaître ses crimes passés, dont les moindres ne sont pas les invasions et les annexions forcées de la Géorgie, en 1803 et 1923, le dépeçage de la Pologne avec l'Allemagne nazie, en 1939, et le massacre de Katyn, qui a coûté la vie à des dizaines de milliers d'officiers polonais prisonniers (et dont Moscou continue faussement à imputer la responsabilité à l'Allemagne).
Or, la Russie refuse d'accepter la responsabilité de l’oppression qu’elle a fait subir à ses nombreux "peuples captifs" – dont, bien entendu, les Géorgiens.
Nul doute que la crédibilité des États-unis soit en jeu dans cette affaire. Si un véritable ami de l'Amérique – un État millénaire, déjà annexé à deux reprises par Moscou au cours des deux derniers siècles, une démocratie qui s'est engagée avec enthousiasme pour l'OTAN et l'Union Européenne, et qui a même envoyé des troupes combattre en Irak – si une tel Etat pouvait être écrasé sans aucune action concrète de la part de Washington, l'amitié de l'Amérique perdrait rapidement sa valeur, et sa défaveur compterait encore moins. Les répercussions se feraient sentir dans le monde entier, depuis les capitales de la Nouvelle Europe, et jusqu’à à Jérusalem, Kaboul et Bagdad.
David B. Rivkin, Jr. et Lee A. Casey *
© Pastacantbedone
* MM. Rivkin et Casey sont des avocats de Washington, qui, entre 2004 et 2007, ont fait partie de la sous-commission des Nations Unies pour la Promotion et la Protection des Droits de l'Homme.
[Texte aimablement signalé par M. Brzustowski.]
Mis en ligne le 24 août 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org