"Les principaux objectifs d'Israël dans la bande de Gaza sont atteints"

Publié le par shlomo

LEMONDE.FR

         
 

Pierre Razoux est auteur de Tsahal, nouvelle histoire de l'armée israélienne (Perrin, "Tempus", 2008) et responsable de recherches au collège de défense de l'OTAN à Rome. Il s'exprime ici à titre personnel.

Comment expliquer l'intensification des frappes israéliennes sur la bande de Gaza alors même que les négociations diplomatiques menées par les Egyptiens semblent pouvoir aboutir ?

Cette stratégie de surenchère du dernier moment est parfaitement logique. Elle consiste à accroître la pression en multipliant les assauts, tout en laissant la porte des négociations ouverte. Dans l'histoire militaire d'Israël, il y a de nombreux exemples de cette stratégie, lors de la dernière phase de la guerre du Kippour en octobre 1973, en juin 1982 lors de l'opération "Paix en Galilée" ou bien encore lors des derniers jours de la deuxième guerre du Liban pendant l'été 2006.

De manière réaliste, les stratèges israéliens savent qu'ils n'arriveront pas à éradiquer le Hamas. Comme il commence à y avoir un effet de lassitude au sein de l'opinion israélienne, les pragmatiques se disent qu'il est temps de conclure. En fin de matinée, vendredi 16 janvier, les unités blindées israéliennes avaient l'air de commencer à se retirer au moins de la ville de Gaza et de Khan Younès, pour retourner sur les axes sécurisés. Après avoir montré leur force, les Israéliens attendent. Européens et Arabes modérés souhaitent de toute façon arriver à un cessez-le feu acceptable avant la prise de pouvoir d'Obama le 20 janvier.

Israël a-t-il atteint les objectifs qu'il s'était fixés ?

Dès le départ, Israël n'imaginait pas une seconde détruire le Hamas mais souhaitait d'abord "casser les reins" du mouvement islamiste en réduisant son potentiel militaire. Israël a occupé "l'axe Philadelphi", la zone-frontière entre la bande de Gaza et l'Egypte, afin de détruire tous les tunnels de contrebande et s'assurer que le Hamas ne serait plus en mesure de reconstituer son armement et ses stocks de roquettes. Depuis déjà plusieurs jours, l'armée israélienne a donc atteint ses objectifs, même si des roquettes continuent de tomber sur Israël, même si des combattants du Hamas continuent de se battre.

Les objectifs politiques individuels d'Ehoud Barak et de Tzipi Livni ont eux aussi été atteints. Dans la perspective des prochaines élections générales israéliennes en février, ils voulaient montrer qu'ils pouvaient se montrer extrêmement durs et que les électeurs pouvaient leur faire confiance.

Dans l'opinion publique israélienne, cette guerre va-t-elle "gommer" l'impression qu'avait laissée la guerre au Liban en 2006 ?

En grande partie. Ce qui est sûr, c'est que l'armée israélienne a tiré les leçons de l'échec de 2006 en revenant aux fondamentaux du combat terrestre et du combat blindé, une technique qu'elle maîtrisait jusqu'au début des années 80. Elle a travaillé énormément sur l'entraînement, la motivation et l'équipement des troupes, notamment des réservistes, retournant à ce qui avait fait son succès dans les années 50, 60 et 70. Elle a su éviter les dérives de la guerre de 2006 où les officiers étaient restés à l'arrière, commandant leurs troupes derrière leurs ordinateurs portables, récoltant le sobriquet de "plasma commanders". Cette année, ils se sont placés systématiquement à la tête de leurs troupes et sont montés les premiers à l'assaut des positions ennemies.

En quoi l'offensive dans la bande de Gaza a-t-elle été différente de la guerre au Liban en 2006 ?

Ce sont deux histoires différentes. Il est beaucoup plus facile pour les Israéliens d'opérer à Gaza qu'au Sud-Liban, un terrain très montagneux, très compartimenté, difficile à contrôler militairement. La bande de Gaza est un terrain plat et urbain que les Israéliens connaissent sur le bout des doigts pour l'avoir occupé pendant trente-cinq ans. Ils ont pu le cartographier, le répertorier, le photographier, y poser des capteurs un peu partout. C'est un petit territoire qui est surveillé en permanence par les drones et les satellites. En outre, les Israéliens ont des informateurs palestiniens, parmi lesquels probablement de nombreux cadres du Fatah qui agissent pour se venger des assassinats commis par le Hamas lors de sa prise de pouvoir dans la bande de Gaza, il y a dix-huit mois.

A la différence du Hezbollah, les combattants du Hamas n'ont pas une aussi longue expérience de la lutte armée et de la clandestinité, et ne bénéficient pas d'une assistance financière massive en provenance de l'extérieur. Enfin, l'armement du Hamas est plutôt obsolète, et vieillissant. Il provient principalement de l'armement pris aux forces de sécurité palestiniennes du Fatah, qui était lui-même issu des vieux stocks d'armes soviétiques des pays d'Europe de l'Est.

Pensez-vous que le Hamas serait prêt à respecter une trêve ?

Ce n'est pas sûr. Un scénario plausible, c'est que les Israéliens décrètent unilatéralement un cessez-le-feu tout en continuant à sécuriser l'axe Philadelphi pour être certains que le Hamas ne reconstituera pas ses stocks d'armement. En même temps, ils retireraient leurs soldats et leurs blindés de tout le reste de la bande de Gaza et se contenteraient de riposter ponctuellement aux tirs éventuels du Hamas, en attendant que ce dernier accepte le plan de cessez-le-feu.

Propos recueillis par François Béguin

Publié dans ISRAEL

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