Qui se souvient de Menahem Beilis ?
Texte repris du Blogue "Autour de la Liberté" (document mis en ligne le 10/02/08)

La première personne qui m’a parlé de Menahem Beilis, c’est mon grand-père.
Nous étions quelque part dans les années 70, le monde était encore divisé entre l’Occident et le « socialisme réel », l’histoire de Menahem Beilis (ci-contre) appartenait à un autre temps.
Celui d’avant la Première guerre mondiale, d’avant le communisme, d’avant la Shoah et d’avant la création d’Israël.
Il était question d’antisémitisme monstrueux, d’une organisation terroriste et antisémite, les Cent Noirs et d’accusations infamantes qui avaient un relent de sorcellerie.
Mais aujourd’hui trois ans avant le centenaire de l’affaire Beilis qui s’en souvient ?
Alors reprenons, l’Ukraine au début du siècle est encore une terre de pogroms. Ceux-ci ont pris de l’ampleur depuis l’assassinat du tsar « réformateur » Alexandre II en 1881 (ci-dessous).

Les Juifs ont été accusés d’être à l’origine de ce meurtre.
Même certaines organisations révolutionnaires comme la Narodnaia Volia (la Volonté du Peuple) responsable du tsaricide ont encouragé ces manifestations confuses de colère populaire. Puis à partir de 1903 les pogromes reprennent alimentés par la propagande antisémite de groupes réactionnaires comme les Cent Noirs, qui stigmatisent la participation de juifs dans les nouvelles organisations révolutionnaires socialistes.
Selon les rumeurs antisémites, le Talmud Thora contient des instructions secrètes expliquant comment réciter des formules kabbalistiques en faisant couler le sang d’enfants chrétiens.
Une telle accusation a épanoui ses fleurs vénéneuses depuis le XIIe siècle en Angleterre. Au cours des siècles moyenâgeux elle a alterné avec l’accusation d’empoisonner les puits que l’on trouve notamment lors de la Peste Noire de 1347-1350. Si l’Europe Occidentale des Lumières semble avoir éradiqué ces rumeurs, elles sont demeurées bien vivaces dans l’Est.

Arrestation de Beilis
Rapidement un juif Menahem - Mendel- Beilis qui travaillait dans un abattoir est accusé de meurtre rituel grâce au témoignage d’un allumeur de réverbère qui affirme avoir vu l’enfant partir avec un Juif... En Ukraine et en Russie déferle alors un antisémitisme bestial et irraisonné.
Lorsque s’ouvre le procès, l’accusation fait venir un prêtre catholique, Justinas Pranaitis (ci-contre) auteur d’un livre le « Talmud Démasqué » qui prétend exposer les pratiques de crimes rituels.
Des affiches sont placardées afin de mettre les parents chrétiens en garde contre les dangers qui menacent leurs enfants lors de la pâque Juive (ci-dessous).
Des députés d’extrême droite à la Douma, le parlement Russe, dont Georgy Zamislovsky et Aleksei Shmakov s’emploient à étendre les accusations contre Beilis à l’ensemble du mouvement Hassidique, témoignage de haine antisémite d’autant plus frappant que Beilis lui-même n’est pas un religieux orthodoxe et ne respecte pas le shabbat.

Le procès qui s’ouvre deux ans plus tard en 1913 donne lieu de par le monde à un vaste mouvement de solidarité avec l’accusé.
Wikipedia relate qu’au procès, grâce à l’aide des communautés juives, « Beilis est défendu par les plus fameux avocats de Moscou, de Saint-Pétersbourg, et de Kiev. Deux éminents professeurs russes Troitsky et Kokovtzov parlent au nom de la défense et font l'éloge des valeurs juives et démontent les contrevérités de l'accusation, tandis que le philosophe Alexander Glagolev, Chrétien Orthodoxe, professeur au Séminaire Théologique de Kiev, affirme que "la loi de Moïse interdit de répandre du sang humain et l'usage du sang dans l'alimentation cacher".
Une personnalité remarquable se détache, Vladimir Korolenko (ci-contre) écrivain Russe, populiste et engagé en faveur des Droits de l’Homme, opposant au régime tsariste, puis à celui des bolcheviks.
Korolenko, humaniste convaincu, montre que le mensonge et la corruption derrière les accusations contre Beilis, font de cette affaire une affaire Russe et non seulement une question d’antisémitisme.
L’accusation s’effondre rapidement. « L'allumeur de réverbères, sur le témoignage duquel repose toute l'accusation de Beilis, avoue avoir été embrouillé par l'Okhrana, la police secrète.
Après une délibération qui dure plusieurs heures, le jury, composé uniquement de chrétiens, acquitte Beilis. Parmi le jury, il n'y a aucun représentant de l'intelligentsia.
La presse libérale révèle alors que dès le début de l'enquête, la police avait réussi à déterminer que le matin de sa disparition, Andrei Yushchinsky avait décidé de sécher l'école et de rendre visite à son ami, Zhenya Cheberyak. La mère de Zhenya est parfaitement connue de la police comme faisant partie d'une bande de voleurs en tant que receleuse et a très rapidement été soupçonnée du meurtre. »
Cependant l’acquittement de Beilis et les révélations de la presse ne mettent pas un point final aux rumeurs.
Lorsque l’accusation réalisa que les soi-disant preuves contre Beilis risquaient de s’effondrer, elle scinda son réquisitoire en deux questions : Beilis était-il coupable ? Le garçon avait-il été tué de 13 coups de couteaux dans un meurtre rituel et son cadavre trouvé près de l’usine de briques de Zaytsev (celle-ci étant notoirement possédée par des Juifs) ?
La réponse positive du jury à la deuxième question préservait, malgré l’acquittement de Beilis, la rumeur nauséabonde. Aujourd’hui encore, il est une tombe bien entretenue, dans un petit cimetière d’Ukraine, celle d’Andrei Iushchynski. Sur la pierre tombale, une citation extraite du procès-verbal du jugement entretient le mensonge, 97 ans après.
Pire tous les ans pour l’anniversaire de sa mort des centaines de Russes et d’Ukrainiens se rassemblent là et « communient » dans le mensonge, la haine et l’ignorance. Les roses qui sont déposées sur la tombe rappellent que l’antisémitisme meurtrier n’est qu’en sommeil.
Beilis acquitté émigra avec sa famille (ci-dessous) en Palestine, puis aux Etats-Unis où il meurt en 1934.

Son procès qui suit celui d’Alfred Dreyfus montre que la Vérité est une arme puissante en faveur du droit et de la Liberté, pour peu que les conditions juridiques lui permettent de s’exprimer.
Cependant ce constat est insuffisant. Les accusations de crimes rituels ressurgissent périodiquement et lorsque l’aspect religieux ne peut être invoqué, c’est la luxure et le viol qui deviennent des mobiles comme dans le procès de Léo Frank en 1915, aux Etats-Unis, en Géorgie, innocenté mais lynché par la foule (ci-contre).
Les accusations contre les Juifs suivent en fait trois axes au fil des siècles.
La thèse de la conspiration, imputée à une haine inextinguible du Christ et à une soif insatiable du pouvoir et de l’argent. Le Protocole des Sages de Sion, un faux publié précisément à l’instigation de l’Okhrana tsariste, puis publié dans de nombreux pays dont les Etats-Unis sous le patronage d’Henry Ford en 1920, et réédité régulièrement de nos jours dans certains pays musulmans, Syrie, Malaisie, etc. le protocole a même inspiré récemment une série télévisée en Egypte, « le Cavalier sans Monture ».
Cette thèse permet de justifier une lutte mondiale contre la conspiration juive qui peut selon les cas passer aussi bien par l’extrême droite, que par l’islamo-fascisme, voire une partie de l’extrême gauche.
L’idée marxiste de l’antisémitisme comme socialisme des imbéciles, s’efface peu à peu devant la théorie qui fait de l’antisionisme, l’essence même de l’anti-impérialisme.
Plus récemment de pseudo historiens ont commencé à répandre l’idée que des Juifs étaient les principaux organisateurs ou parmi les principaux organisateurs de la traite des Noirs, spectaculaire mutation de la thèse de la conspiration.
Un deuxième axe est celui du juif empoisonneur, porteur ou diffuseur de maladies. Les origines moyenâgeuses sont aussi authentifiées. La Peste Noire qui se propage au XIVe siècle en est le vecteur, d’autant que les pratiques d’ablution rituelles des Juifs diminuaient leur propre risque de contracter des maladies, les rendant d’autant plus suspects.
Le développement de la science et des Lumières devait bien sûr porter de rudes coups au mythe du Juif empoisonneur. Mais ô surprise, le mythe du Juif empoisonneur resurgit au XXe siècle avec le nazisme qui le « rationalise » et justifie la mise à l’écart des juifs, les ghettos et les déportations par la nécessité de préserver la population des Juifs porteurs du typhus et donc empoisonneurs sui generis.
La défaite du nazisme n’éradique pas le virus qui se recombine pour réapparaître depuis les années 80, de façon plus « sophistiquée » et peut-être plus nauséabonde; les Juifs sont fréquemment accusés par une rumeur de répandre le virus du Sida dans les populations Noires d’Afrique. Professeur Griff, un des membres du groupe de rap Public Ennemy a notamment relayé ces mensonges dans une interview au Washington Times.
Le troisième axe est bien sûr celui du crime rituel, qui nous ramène à l’affaire Beilis.

Un homme qui garde beaucoup de pouvoir à Damas et eut ses entrées au quai d’Orsay, malgrè son rôle clef dans le massacre des Frères Musulmans Syriens à Hama en 1982 qui fit plus de 10 000 morts. Tlass est aussi l’éditeur et le préfacier d’un livre « l’Azyme de Sion » qui vous l’aurez deviné reprend la thèse du Juif vampire assoiffé de sang chrétien pour son pain azyme.
Pourquoi cette édition syrienne au-delà de l’antisionisme du régime ? À cause du meurtre du père Thomas, un moine franciscain à Damas en 1840 qui donna lieu à un procès pour crime rituel contre huit Juifs de la communauté damascène qui « avouèrent » le meurtre sous la torture, avant d’être reconnus innocents suite à la mobilisation de l’opinion internationale menée par la belle figure de Moses Montefiore (ci-contre).
L’affaire de Damas fut donc une affaire Beilis avant l’heure. L’insistance éditoriale du régime syrien est donc éminemment suspecte et l’on peut deviner une volonté de diffuser à nouveau le virus.
Ainsi en 1991, Nabila Shallan déléguée syrienne à la Commission des Droits de l’Homme de l’O.N.U. en recommanda la lecture comme un ouvrage permettant de démasquer la nature raciste du sionisme. A l’O.N.U., le pire est toujours possible !
Dans la même veine le film Turc, "la Vallée des Loups » consacré à la dénonciation de l’intervention Américaine en Irak présente une version modernisée de ces accusations en introduisant un médecin juif pratiquant des ablations et amputations sur des irakiens à des fins de trafic d’organes.
Le crime n’est plus à des fins rituelles, mais financières. Les organes des musulmans remplacent le sang des chrétiens. Le virus antisémite est renforcé en s’associant à celui de la conspiration juive ou judéo américaine, et de la prétendue cupidité juive; une double mutation redoutable. Le film, anti-américanisme oblige, a été diffusé en France.
© Autour de la Liberté
Mis en ligne le 21 février 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org