Pessah au temps du mandat britannique

Publié le par shlomo


Binyamin Zeev Jabotinsky dans la prison de Saint-Jean d'Acre.
Photo: Archives du Centre Jabotinsky, Tel-Aviv , JPost

 

Acco, 1946, un matin de Pessah : Mrs Margaret Ashton Stimson Lindsley traverse les douves qui entourent la prison de St-Jean d'Acre, dans la Palestine sous mandat britannique.

 

Un esprit moins audacieux n'aurait sans doute pas choisi de se rendre en Palestine, et encore moins de visiter la plus célèbre de ses prisons, alors que la Terre sainte est secouée par la guerre que les milices clandestines juives, en lutte pour obtenir un Etat, livrent au régime du mandat britannique.

Mais Mrs Lindsley n'est pas femme à se laisser dissuader par le risque. Cette journaliste militante de la vieille école a adopté le combat des Juifs comme sa cause personnelle et la prison de St-Jean d'Acre est exactement le genre de lieu qu'elle tient à voir, afin de pouvoir exposer les injustices de la gestion britannique aux yeux du monde.

Originaire d'une banlieue de Boston, Lorna (celui de ses prénoms qu'elle préfére) Lindsley est, comme le souligne le New York Times, "d'une ascendance très distinguée de Nouvelle Angleterre". Son père, cousin du secrétaire d'Etat à la Guerre Henry Stimson, a été ambassadeur des Etats-Unis en Argentine.

Après des études au Radcliffe College, prestigieux institut affilié à l'université de Harvard, elle s'envole pour le milieu culturellement plus intéressant du Paris de l'entre-deux guerres.

C'est en 1936, avec la guerre d'Espagne, qu'elle découvre sa vocation. Rejoignant les forces antifascistes, elle rédige une série d'articles pour des journaux et magazines politiques américains.

Lindsley ne se prétend pas objective. Quand elle n'écrit pas, elle est infirmière bénévole auprès des soldats loyalistes blessés, pour lesquels elle rédige des lettres à leurs familles lorsqu'ils sont trop mal en point pour tenir un crayon. Après le triomphe de Franco, elle retourne à Paris. Au printemps 1940, à l'approche de l'armée allemande, plus d'un million de Parisiens fuient la capitale.

Lindsley se joint à eux, mais uniquement pour faire passer en zone libre des films de l'invasion. Trois jours plus tard, elle est de retour. Au cours des cinq mois suivants, elle défie l'occupant nazi en aidant des Juifs et des réfugiés politiques à quitter Paris.

Ses articles, écrits dans la zone occupée, constituent une source importante pour la presse américaine et britannique. De retour aux Etats-Unis en 1941, elle rédige son premier et unique livre, War is people (La guerre c'est les hommes), qui décrit l'impact du conflit sur la vie des citoyens ordinaires.

"Membre" de la famille Jabotinsky

Mais Lindsley ne tient pas en place. En 1946, elle débarque dans la Palestine mandataire pour lutter au sein de la milice Zvaï Leoumi de l'Irgoun de Menahem Begin.

Quand les autorités britanniques rejettent sa demande d'interview de combattants de l'Irgoun prisonniers, elle contourne l'interdiction en se faisant passer pour un membre de la famille Jabotinsky. Elle se joint à ces leaders du sionisme révisionniste pour pénétrer dans le centre de détention.

Le récit qu'elle fait de cette mémorable visite à la prison de St-Jean d'Acre dans un article non publié a été remis à l'Institut David Wyman pour l'Etude de la Shoah par les proches d'Eri Jabotinsky (1909-1967), fils de Vladimir Zeev Jabotinsky. Il offre une fascinante plongée dans les coulisses où s'activaient les hommes et les femmes qui luttaient pour faire naître l'Etat d'Israël.

C'est Eri qui propose à Lorna Lindsley de se joindre à la famille Jabotinsky en ce Pessah 1946. Le jeune homme, libéré depuis peu, vient de passer près de deux ans à la prison de St-Jean d'Acre, après un premier séjour là-bas en 1939-1940.

Responsable de l'Alya Bet, il était coupable d'avoir fait entrer en Palestine des dizaines de milliers de Juifs d'Europe malgré l'interdiction britannique. Parti aux Etats-Unis de 1941 à 1944, il avait par ailleurs dirigé le groupe Bergson, qui militait pour inciter les Alliés à secourir les Juifs d'Europe.

Lors de son deuxième séjour à la prison, Eri a été rejoint par son cousin Peleg Tamir, 17 ans, lui aussi activiste de l'Irgoun. Au printemps 1946, Peleg est toujours derrière les barreaux.

Les prisonniers de sécurité ont droit à une visite tous les deux mois, ainsi qu'à chaque fête juive. En ce jour de Pessah, Lorna Lindsley est donc accompagnée par la grand-mère et les parents de Peleg, et par Eri, sa femme, et leur petite fille de trois ans, Karny.

"Quand nous avons passé le pont-levis de l'ancien château, qui enchante le regard du passant", écrit Lindsley, "Eri Jabotinsky m'a souri et a déclaré : 'Bienvenue dans notre maison de famille !'"

"Peleg est apparu derrière le grillage, très beau jeune homme aux cheveux noirs et au sourire resplendissant, et toute la famille s'est mise à lui parler en même temps, jusqu'à ce qu'il demande grâce", relate-t-elle.

Peleg et dix-neuf de ses camarades avaient été arrêtés lors d'un entraînement de l'Irgoun à Shouni. Les Britanniques les accusaient en outre d'être liés à une cache d'armes découverte dans la région. Malgré leurs dénégations, ils ont tous été condamnés à des peines de prison. Peleg a écopé de quatre ans.

Militante clandestine de l'Irgoun

"Le même jour et devant le même tribunal, un Arabe était jugé pour avoir caché un fusil sur le toit de sa maison", raconte Lindsley.

"Sa défense, non corroborée, consistait à affirmer que le fusil avait été déposé là par un policier qui lui voulait du mal. L'homme a été relâché. C'est ce genre de 'deux poids, deux mesures' qui attisait l'amertume parmi les Juifs de Palestine."

Ce jour-là, avec la famille Jabotinsky, se trouve aussi Hassia Hassan, "Juive canadienne de
15 ans, petite amie de Peleg", écrit Lindsley.

"Elle ne disait rien, se contentant de regarder le garçon et de l'adorer en silence. En tant que petite amie de prisonnier, elle avait été assignée à résidence par les autorités à Haïfa, ce qui signifiait pour elle ni cinéma, ni crèmes glacées au kiosque du coin...

En elle, le gouvernement de Palestine avait une autre prisonnière politique en puissance ! Bien trop tôt, un gardien armé d'un bâton a commencé à taper sur la barricade de bois. Les 25 minutes réglementaires étaient écoulées."


Lindsley a apporté des livres à Peleg : la façon dont les autorités de la prison les détaillent l'agace profondément. Sarcastique, elle se demande pourquoi les gardiens ne voient pas d'objection à la lecture de Macbeth, "une histoire pourtant pleine de crimes politiques, de complots et de subterfuges..."


En quittant la prison, Lindsley et la famille Jabotinsky vont pique-niquer "des restes froids de notre dîner de Pessah de la veille.

Avec la mer qui battait la muraille phénicienne et le son des armes lourdes de l'école d'artillerie britannique en arrière-fond", Lindsley et la famille Jabotinsky évoquent la fête de la Délivrance et la lutte que mène leur propre génération pour la liberté nationale juive. Une lutte qui se conclurera, deux ans plus tard, par la naissance de l'Etat d'Israël.

En 1949, Eri Jabotinsky est élu à la première Knesset comme député du parti Herout de Menahem Begin. Mais la politique israélienne n'étant pas à son goût, il repart vite enseigner les mathématiques. Karny, sa fille, devient une psychiatre célèbre et travaille quelques années comme médiatrice auprès du ministère israélien de la Santé.

Peleg Tamir est libéré de la prison de St-Jean d'Acre en 1947, puis arrêté de nouveau et placé dans le camp de détention d'Atlit, dont il s'échappera caché dans une valise.

Plus tard, il sera directeur général de l'Association des Industriels israéliens et chef du personnel dans l'armée de l'air israélienne. Il préside aujourd'hui l'Institut Jabotinsky, centre d'enseignement sur le chef du mouvement sioniste révisionniste.

Et l'adolescente canadienne que plaignait Lindsley ? Hassia Hassan, la petite fille innocente dont le plus gros problème, pensait Lindsley, était d'être privée de cinéma et de glaces, était en fait un membre actif de l'Irgoun, ce qui lui avait valu, par la suite, un séjour derrière les barreaux. Hassia et Peleg viennent de fêter leur 58e anniversaire de mariage.

Les années d'après-guerre n'ont hélas guère été clémentes envers Lorna Lindsley. Son mariage s'est soldé par un divorce, sa fille Leonora s'est tuée dans un accident de Jeep et, à l'été 1956, à l'âge de 67 ans, elle-même meurt d'une hémorragie cérébrale. Toutefois, la journaliste n'aurait pas quitté ce monde sans un dernier combat.

Au moment de sa mort, elle a adopté la cause des rebelles Mau-Mau, insurgés contre les colonisateurs britanniques au Kenya. Peu soucieuse, comme toujours, des dangers d'une zone de guerre, elle s'était rendue sur place afin d'apprécier la situation.

Le Dr Rafael Medoff est directeur de l'Institut David Wyman pour l'étude de la Shoah.
www.WymanInstitute.org

Publié dans ISRAEL

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