Antisémitisme. Selon Michel Gurfinkiel, "La France va de plus en plus mal"
Elias Levy
Source : The Canadian Jewish Press
Dans la France de Nicolas Sarkozy, l’antisémitisme resurgit véhémentement. Depuis la dernière guerre à Gaza entre Israël et le Hamas, la France a connu une prolifération inquiétante d’actes antisémites. Un profond malaise s’est réinstallé dans la Communauté juive de France. Michel Gurfinkiel “La France va de plus en plus mal!” lance en entrevue le politologue et journaliste français, Michel Gurfinkiel. Spécialiste des questions politiques françaises et géopolitiques internationationales, Michel Gurfinkiel est rédacteur en chef du magazine politique et économique, Valeurs Actuelles. Il est l’auteur de plusieurs livres remarqués, dont un très beau récit sur l’Histoire d’Israël, Le Roman d’Israël (Éditions Du Rocher, 2008). Canadian Jewish News: Depuis la dernière guerre à Gaza, les actes antisémites se sont multipliés en France. Ce phénomène délétère est-il récurrent? Michel Gurfinkiel: Ce n’est pas un phénomène récurrent, c’est un phénomène qui empire. Malheureusement, il y a un lien direct entre ce regain d’actes antisémites et la transformation démographique que connaît aujourd’hui la France. C’est-à-dire, la montée en force d’une Communauté néo-française, islamique en majorité, au sein de la société française, dont l’idéologie profonde va à l’encontre des valeurs traditionnelles de la France, de l’Europe et du monde occidental. C.J.N.: Dans ce contexte morose marqué par une recrudescence de l’antisémitisme, les perspectives d’avenir des Juifs des France sont plutôt sombres? M. Gurfinkiel: Si vous interrogez en moi l’historien, l’observateur, le journaliste, je vous dirais que la France est un pays magnifique qui n’est pas antisémite. Une fois que l’on met de côté l’antisémitisme, qui a été importé par des populations originaires de contrées arabo-musulmanes, je pense que le cœur de la vraie nation française, quelles que soient ses origines, n’est pas du tout antisémite. Je crois que la France est beaucoup moins raciste et antisémite que les autres pays du monde, et que la plupart des pays européens. Il y a beaucoup plus d’antisémitisme en Espagne qu’en France. Il y a beaucoup plus de racisme contre les étrangers en Angleterre qu’en France. Ce sont des faits incontournables. C.J.N.: Depuis quelques années, des Juifs reprochent à la Justice française d’être laxiste quand il s’agit de condamner les auteurs d’actes antisémites. Ce grief est-il fondé? M. Gurfinkiel: La France, c’est le roi. On a coupé la tête au roi, on a proclamé la République, mais le régime profond de la France, c’est le roi. Les juges français vous tiendront des propos révolutionnaires, mais ils obéissent au roi. La chancellerie fait parvenir aux juges, ou plus précisément au parquet, des instructions très précises qu’ils doivent ensuite appliquer de manière pointilleuse. C.J.N.: Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy déçoit une majorité de Français. Pourquoi? M. Gurfinkiel: Deux ans après l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, les déçus du Sarkozysme sont beaucoup plus nombreux que les partisans de l’actuel président. En 2007, Nicolas Sarkozy avait dans ses mains des atouts énormes, qu’il n’a pas su utiliser. D’abord, il a été élu par 53% des Français. Or, vous savez que dans un régime démocratique, 53%, c’est une majorité claire, nette et indiscutable. Ensuite, il représentait le changement, la rupture. C’est-à-dire, le changement vis-à-vis de la droite, qui était au pouvoir les années auparavant. Il s’est attaqué aussi aux présupposés idéologiques tenaces, dont les Français n’en veulent plus. Sarkozy avait la jeunesse, le non-conformisme. Un de ses grands atouts était aussi le fait qu’il avait tout au long de sa campagne présidentielle insisté sur la notion d’identité nationale française. Il rappelait à chaque instant que lui-même est un fils d’immigré. C’étaient des atouts énormes. C.J.N.: Par rapport à Israël, il y a quand même un grand contraste entre la position de Nicolas Sarkozy et celle de son prédécesseur, Jacques Chirac. M. Gurfinkiel: Je serais beaucoup plus sévère en ce qui a trait aux rapports entre la présidence Sarkozy et l’État d’Israël. Dès que Nicolas Sarkozy a été élu, il a été question de nommer Hubert Védrine -ministre des Affaires étrangères durant la présidence de François Mitterrand- à la tête du Quai D’Orsay. Ça a suscité une telle émotion que l’idée a été immédiatement abandonnée. Je crois que ce genre de geste a été totalement révélateur. Sarkozy a fini par nommer Bernard Kouchner aux Affaires étrangères. Je ne vais pas dénigrer ni faire l’éloge de cette figure de proue de la scène politique française. Kouchner n’est que Kouchner! C.J.N.: Mais, les Juifs de France ne se sentent-ils pas plus à l’aise dans la Vème République de Sarkozy que dans celle de De Gaulle, de Pompidou ou de Giscard d’Estaing? M. Gurfinkiel: La France a été gouvernée du Général de Gaulle à Jacques Chirac par des gens qui étaient en réalité profondément antisémites. De Gaulle était antisémite. Un homme qui est capable de prononcer, comme il l’a fait en juin 1967, la fameuse “petite” phrase “Les Juifs sont un peuple d’élite dominateur et sûr de lui-même”, ne peut être qu’un antisémite. De Gaulle a employé ce jour-là le langage de l’extrême droite vichyste. Nous savons aujourd’hui que De Gaulle n’a jamais aimé les Juifs. C.J.N.: On ne peut quand même pas qualifier d’“antisémite” François Mitterrand? M. Gurfinkiel: François Mitterrand, qui était un personnage compliqué, ambigu et extrêmement intelligent, était capable de montrer beaucoup d’amitié envers Israël et le peuple juif, tout en affichant parfois des positions d’extrême droite, radicalement antisémites. C.J.N.: Jacques Chirac est le premier président de la République française à avoir reconnu la responsabilité de l’État français durant la période noire où le gouvernement de Vichy collabora avec zèle avec les nazis. M. Gurfinkiel: C’est vrai. Mais Jacques Chirac est aussi le président qui, entre 2000 et 2002, affirmait, sans la moindre gêne, qu’il n’y avait pas d’antisémitisme en France, alors que les attentats antisémites battaient leur plein. Chirac est aussi l’homme qui s’est comporté de la manière que l’on sait en visite officielle à Jérusalem, en inventant de toutes pièces un incident diplomatique qui n’a eu lieu que dans son imagination. |
Michel Gurfinkiel
Interviewé par Elias Levy
© The Canadian Jewish Press
[Texte aimablement signalé par Victor Perez
Mis en ligne le 23 avril 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org