Europalestine boycotte les produits israéliens par des actions directes dans les magasins
[*] Le Juif Süss raconte l'histoire d'un homme d'affaires juif, dont les pratiques malhonnêtes entraînent la trahison d'une jeune fille innocente. Conformément aux lois antisémites en vigueur au XVIIIe s., il est arrêté et pendu. (D'après l'article "Le Juif Suss (1827)", de Wikipedia.)
03/05/09
Source : Site Rue89, 2 mai 2009
A première vue, ce sont des clients comme les autres. Entrés en ordre dispersé dans le magasin Carrefour de la rue de Maubeuge, dans le IXe arrondissement de Paris, ils vont pourtant venir perturber le ballet bien réglé des courses du samedi.
Une dizaine de militants de l'association Europalestine circule, encore incognitos, panier à la main dans les rayons du magasin, portant une attention particulière aux produits étiquetés « made in Israël ».
Ces repérages terminés, tous convergent vers les étals de fruits et légumes. La caméra de l'association tourne, les blousons tombent et les tee-shirts verts estampillés « Palestine vivra » et « Boycott Israël » sont dévoilés. Les mains dans un bac d'oranges, l'un des militants interpelle les passants :
« Encore des fruits cultivés sur la terre des Palestiniens avec l'eau des Palestiniens ! » « Carrefour ment sur la provenance des produits qui viennent des territoires occupés illégalement par Israël », surenchérit une autre.
Les clients, interloqués, s'agglutinent autour d'eux. (Voir la vidéo, tournée par Europalestine)
J. Verniau est juriste au sein du cabinet Webconseil France Lawyer :
« L'appel au boycott n'est légal que lorsqu'il tend à faire respecter le droit international, dans le cadre limité de l'article 41 de la Charte des Nations Unies, qui prévoit l'interruption, complète ou partielle, des relations économiques avec un Etat en raison de dangers pesant sur la paix et la sécurité internationale.
L'appel au boycott de produits, outre les poursuites civiles qui peuvent être intentées de la part des fournisseurs et distributeurs qui s'estimeraient lésés du fait de celles-ci, est passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende, en tant que discrimination commise à l'égard d'une personne physique ou morale, consistant à entraver l'exercice normal d'une activité économique. »
Micheline, 73 ans, assiste à la scène, appuyée sur son caddie. Pour cette fille de déportés, c'est un « crève-cœur » :
« Ça me fait mal de voir ça ! Mes parents sont morts à Birkenau. Je ne soutiens pas tout ce que fait Israël, mais ce genre d'action me paraît dangereux. J'ai l'impression qu'il suffit d'une étincelle pour que tout s'embrase. »
Un peu plus loin, Christine, 55 ans, écoute les militants avec attention :
« Ça me fait réfléchir sur l'origine des produits que je consomme, affirme-t-elle. Je suis plutôt pro-palestinienne et je comprends qu'on puisse boycotter des produits pour des raisons politiques. En revanche, je trouve la méthode un peu agressive. J'aurais préféré qu'on me distribue un tract à la sortie du magasin. »
Alertés, les quatre vigiles interviennent. Le ton monte avec les militants, qui refusent d'éteindre leur caméra (et refusent également que nous les filmions nous-mêmes). « Pourquoi vous ne vendez aucun produit ‘made in Palestine’ ? », lancent-ils au nez du directeur de la franchise [lire: gérant]. Celui-ci, visiblement irrité par les méthodes du groupe, accepte cependant de les écouter un moment. Les échanges s'enveniment et les militants sont invités à quitter le magasin.
L'opération a duré un quart d'heure, c'est le moment de se disperser. Ils retirent leurs tee-shirts, rejoignent la rue et se fondent dans le flot anonyme des passants. Ils sont déjà loin quand les policiers arrivent sur les lieux. Devant la supérette, ils s'entretiennent avec le directeur du magasin, encore choqué.
Ce responsable a refusé d'être cité dans cet article, se retranchant derrière la position officielle de Carrefour. Le goupe affirme garantir la fiabilité de l'affichage de l'origine des produits vendus dans ses magasins et revendique sa neutralité :
« Il ne nous appartient pas de prendre parti, et nos magasins n'ont pas vocation à devenir un lieu d'affrontements politiques, religieux, ou idéologiques. Nous prenons ces affaires très au sérieux, notre priorité est d'assurer la sécurité de nos collaborateurs et de nos clients. »
Une neutralité saluée par Henri Cukierman, le président de la Chambre de commerce France Israël, pour qui « les grands groupes de distribution ont une réaction saine et intelligente en ne se laissant pas influencer par ces groupuscules ». « Les clients doivent pouvoir être libres de leurs achats ! », insiste-t-il, qualifiant ce type d'actions d'« agitation grotesque ».
Pour Europalestine, l'opération menée samedi, rue de Maubeuge, est un nouveau succès :
« Aujourd'hui, rien de spectaculaire. Nous voulions simplement montrer que nous pouvons aussi faire de petits happenings pédagogiques, explique Olivia Zemor, présidente de l'association. Notre objectif est d'informer la population, indignée par les massacres de Gaza, [des] moyens d'action possibles. Nous voulons que la société civile se mobilise pour obtenir [que soient prises] des sanctions économiques et commerciales contre Israël, que nos gouvernements se refusent à prendre, malgré le droit international. Alors, on va commencer par arrêter de consommer les avocats israéliens, même si ça paraît dérisoire. »
Les appels au boycott des produits israéliens ne sont pas une nouveauté dans la mouvance pro-palestinienne. Mais l'action de samedi s'inscrit dans une nouvelle campagne, lancée en février par Europalestine, qui a décidé d'adopter, cette fois, une stratégie de communication offensive via Internet.
Une dizaine d'opérations ont déjà été menées par l'association, essentiellement dans des magasins Carrefour d'Ile-de-France. Les images tournées dans l'hypermarché d'Aulnay-sous-Bois et diffusées sur Dailymotion et Youtube auraient été vues plus de 450 000 fois, selon l'association. (Voir la vidéo tournée par Europalestine).
Rapidement, Europalestine a fait des émules dans toute la France et en Europe. D'autres associations comme Réveil des consciences mènent désormais leurs propres opérations d'appel au boycott :
« Nous étions présents à Aulnay et nous nous sommes inspirés de ce que nous y avons vu pour faire la même chose à Flins, dans les Yvelines », explique Nawele, 23 ans, coprésidente de l'association.
De son côté, Génération Palestine a organisé en même temps que celle du Carrefour de la rue de Maubeuge une opération similaire au Carrefour de Bercy :
« Des dizaines d'opérations ont été menées dans toute la France et ça nous dépasse complètement, se réjouit Olivia Zemor. Je dirais que tous les pays européens sont maintenant concernés. »
Un phénomène dont l'ampleur inquiète des représentants de la communauté juive :
« Une fois pour toutes, ces opérations sont illégales, insiste Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Israël est un Etat légalement reconnu. Ces actions sont toujours menées contre ce même Etat et cette fixation relève, selon moi, de l'antisémitisme. »
Une plainte contre X a d'ailleurs été déposée, auprès du procureur de la République de Bobigny, par Sami Gozlan, président du Bureau de national de vigilance contre l'antisémitisme :
« Ce type d'action contribue à importer le conflit israélo-palestinien en France, à envenimer la situation, regrette-t-il. Je sens une radicalisation des jeunes juifs. Il est de plus en plus difficile de les encadrer. J'ai peur que cela dégénère, que certains ne répondent en faisant la même chose dans des supermarchés et que cela aboutisse à une guerre des images sur Youtube et Dailymotion. »
Chargé de recenser les actes antisémites en France, Sami Gozlan affirme recevoir de plus en plus d'appels liés à ces actions de boycott :
« Certaines personnes craignent que le boycott de produits israéliens les empêche d'acheter leurs produits cashers, d'autres ne veulent plus aller à Carrefour car ils ne se sentent plus en sécurité. »
Parmi elles, Valérie, mère de famille habitant la banlieue parisienne :
« Je ne suis plus retournée à Carrefour depuis que j'ai vu ces vidéos, témoigne-t-elle. En tant que juive, je suis tellement exaspérée par tout ça, que je ne sais pas comment je réagirais si quelqu'un mettait la main dans mon caddie. Je veux bien croire que les personnes qui sont à la tête de ces associations ne font pas l'amalgame entre Juifs et Israéliens, mais est-ce le cas de tous les participants présents lors de ces opérations ? »
► Le débat israélo-palestinien tourne court à Paris
► Le communiqué du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme après l'opération de Paris
► Nouvelle opération à Carrefour filmée par Europalestine ce 2 mai
© Rue 89
[Texte aimablement signalé par R.R., Bruxelles.]
Mis en ligne le 3 mai 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org