COMME UN MOUTON DANS LA FOULE
"J'étais comme un mouton dans cette foule". On peut se gausser du caractère approximatif de l’image. Dans un troupeau, à la rigueur !
Mais ce sont les mots employés par un des jeunes qui vient d’écoper de 4 mois de prison fermes pour des violences à La Bastille.
A l'audience, les prévenus ont exprimé leurs regrets, présenté leurs excuses aux policiers et expliqué avoir agi sous le coup du dépit ressenti après la victoire de Nicolas Sarkozy.
"J'ai commis une erreur impardonnable, j'étais comme un mouton dans cette foule", a dit le premier, qui se présente comme "artiste de rue". Le second, titulaire d'une maîtrise de droit et qui travaille comme journaliste, a assuré que les trois jours passés en détention depuis dimanche l'avaient convaincu de ne jamais recommencer.
Certes, mais il est un peu tard. Un peu tard pour cette association caritative dont le siège a été dévasté et qui a perdu dans ces manifestations des documents d’une valeur inestimable sur le plan pédagogique. Un peu tard pour ces enfants dont l’école maternelle a été saccagée, elle aussi. Un peu tard pour ces centaines de commerçants qui ont tout perdu en quelques heures, un peu tard pour ces familles qui se voient privées de leurs voitures, souvent le seul moyen de locomotion qui leur permettait d’aller travailler.
4 mois ! La sanction est dure et ces deux personnes sont vraisemblablement de celles que la prison abîmera de façon irrémédiable. Mais il faudra aussi bien plus de 4 mois pour réparer les dégâts commis par une faute collective. De cela, le tribunal n’a pas voulu tenir compte.
Les deux jeunes hommes, dont les casiers judiciaires étaient vierges, disent n'appartenir à aucun mouvement organisé.
Une faute collective
Il ne s’agit pas ici de condamner le dépit, voire le sentiment de trahison qu’ont pu ressentir des millions de Français après l’annonce du résultat. La démocratie, système imparfait, a joué le rôle qu’on attendait d’elle. Il y a un gagnant et une perdante.
Mais il n’est pas inutile de rappeler que cette haine contre un candidat a été alimentée de manière collective, bien avant ces élections, par des médias, un monde de cadres associatifs bien installé dans la contestation (et qui en vit largement), et des politiques qui n’ont vu que des avantages dans la diabolisation outrancière de Nicolas Sarkozy.
Ils pensaient, les benêts, pouvoir en tirer profit. Mais l’invective n’a jamais tenu lieu de programme électoral. Les voilà maintenant face à de sombres perspectives, la hantise d’être réduit à la portion congrue dans la prochaine assemblée, et des idéaux de gauche - le bien commun - réduits à néant. C’est bien de cette dernière faillite qu’il faudra les tenir comptables, et à tout jamais.
C’est également refuser ce suffrage que de réclamer aux Français, le soir du second tour, de se mobiliser pour « ne pas laisser tous les pouvoirs aux mains de la droite » comme l’a fait François Hollande. C’est mélanger le législatif et l’exécutif que de vouloir obtenir à l’Assemblée nationale ce qu’un peuple – donc mal éclairé puisque c’est lui qui a voté - lui aurait refusé pour la Présidence.
Monsieur Hollande devrait s’occuper de mettre son parti en ordre de marche après la désillusion sans laisser croire qu’une élection peut en annuler une autre. Celles-ci ont deux fonctions différentes.
Faute aussi des médias qui ont relayé et amplifié le sentiment national que la France risquait d’avoir à sa tête un « facho ». Marianne, l’hebdomadaire tellement boursouflé de suffisance, n’a pas accepté de voir son champion du centre quitter le jeu avant la seconde mi-temps. Et ce furent 15 jours de déchainement médiatique sans équivalent dans une démocratie.
Ces mêmes médias qui diabolisaient Sarkozy il y a une semaine, mélangent tout aujourd’hui et attribuent, sans pudeur et avec une inculture crasse, la violence aux mouvements anarchistes. Ils ignorent que l’anarchie, la vraie, ne se préoccupe pas de défaire dans la rue ce qu’ont fait les urnes.
Contrairement à ce qui se dit ici ou là, les anarchistes sont extrêmement respectueux-ses du droit de vote et des élections. Si respectueux qu’ils et elles ne cessent de se battre pour que ce droit puisse s’exercer dans tous les domaines de la vie, dans les entreprises, dans les quartiers, à l’école, et jusque dans les derniers recoins de la sphère du privé.
Qu’ils et elles ne cessent de clamer sur tous les toits que ce droit n’a de sens que s’il s’accompagne d’un mandatement précis et d’un contrôle permanent pouvant déboucher sur une révocabilité à tout moment.
Les anarchistes n’ont aucun intérêt à vouloir détruire le suffrage universel. Ils ne votent pas. Ils préfèrent l’action dans son sens le plus noble. Leur combat est ailleurs. Confondre l’anarchie avec ces mouvements de colère populacière, c’est vouloir ne rien comprendre. C’est encore une fois mélanger les idées, désigner un bouc émissaire et attribuer à un mouvement ou une idée la responsabilité d’une lâcheté collective.
Car il faut être lâche pour se laisser aller, dans des mouvements de foule, aux pires excès. Il faut être lâche et pleutre pour se venger sur des locaux scolaires et des associations du mal-être provoqué par une élection.
Il faut surtout manquer de c….. pour se soumettre à l’idée qu’un homme, une femme, représente à lui ou elle seul(e) la providence, le salut du pays.
Pour construire une nation – disons une communauté puisque le terme « nation » n’a pas l’heur de plaire à nos coincés du bulbe -, il ne suffit pas d’un homme mais de l’effort sans cesse renouvelé de chaque individu.
Et surtout cesser de croire qu’un homme, un seul, peut tout et tout de suite.
Il faut laisser cela à Jean-Luc Delarue et ses onéreuses émissions voyeuristes…sinon, à Bataille et Fontaine, dans "Y'a que la vérité qui compte", mais en toute dernière extrémité. Soyons sérieux !
Pierre Lefebvre @ Primo Europe, 9 mai 2007