LE LIBAN DEVANT UN AVENIR INCERTAIN
Une semaine décisive pour le Liban
Le Hezbollah préparerait activement son "coup d’Etat"
lundi 18 février 2008 - 20h28, par Khaled Asmar

Au cours des prochains jours, le Liban s’attend à vivre au rythme d’événements graves, alors que le pays ne s’est pas encore relevé des secousses qui l’ont ébranlé ces derniers mois et dont la dernière fut le mystérieux assassinat du chef militaire du Hezbollah, Imad Maghnieh, à Damas.
A ce sujet, plusieurs hypothèses sont évoquées au Liban, et qui sont aussi alarmistes les unes que les autres.
Les uns craignent que l’attribution de cet assassinat à Israël ne relance la guerre, interrompue le 14 août 2006. Dans ce cas, le Hezbollah s’estime dans son droit légitime de riposter à une agression sioniste, contrairement à la guerre qu’il avait lui-même lancée contre Israël en juillet 2006 et qui lui a valu les critiques de la communauté internationale.
Les autres estiment que machiavélisme syrien pourrait désigner la responsabilité de Palestiniens, choisis pour leur proximité de l’Autorité palestinienne, dans l’objectif d’accentuer les divisions entre le Fatah et Mahmoud Abbas et le Hamas, le premier étant accusé de collaboration avec Israël, alors que le second est qualifié de défenseur des intérêts arabes et palestiniens.
D’autres aussi n’écartent pas l’idée selon laquelle Maghnieh a été tué lors des combats de 2006, mais le Hezbollah aurait caché cette nouvelle pour empêcher les Israéliens de revendiquer le moindre succès. Cette hypothèse suppose qu’après la publication du rapport Winograd, confirmant la défaite de Tsahal, le Hezbollah et la Syrie auraient monté de toutes pièces l’attentat de Damas pour pouvoir annoncer la mort de Maghnieh. Cette fiction fait son chemin au Liban, d’autant plus qu’elle permet à ses concepteurs de distribuer les accusations à gauche et à droite, en fonction de leurs intérêts immédiats. Ainsi, il est aisé d’accuser le gouvernement libanais pour justifier le renversement de Fouad Siniora, voire son assassinat. Il est également facile de l’attribuer à Israël, ou aux Etats-Unis, pour disculper au préalable toute attaque que le Hezbollah pourrait mener contre leurs intérêts ou leurs ressortissants. D’autant plus que la Syrie et l’Iran cherchent par tous les moyens à briser l’étau qui se resserre sur les régimes de Damas et de Téhéran, respectivement dans le dossier du Tribunal international et le nucléaire. Aussi, il sera facile aux enquêteurs syriens d’attribuer l’assassinat de Maghnieh aux services saoudiens, pour justifier une éventuelle déstabilisation que les Chiites saoudiens pourraient entreprendre, à la demande des Iraniens et/ou des Syriens.
Ces différentes interrogations autour de l’assassinat de Maghnieh devraient trouver une réponse dans les jours à venir. Après avoir promis une enquête rapide et efficace, la Syrie laisse aujourd’hui entendre que les résultats de l’enquête provoqueront un séisme à l’échelle de la région. Selon plusieurs sources, ils seraient attendus pour la fin de cette semaine. D’où, à titre préventif, l’Arabie saoudite a demandé à ses ressortissants de ne pas se rendre au Liban, pour des raisons de sécurité, et la France a fermé le centre culturel de Saïda, pour les mêmes raisons.
Or, l’annonce de la fin de l’enquête pour la fin de la semaine coïncide avec la commémoration de l’assassinat de l’ancien secrétaire général du Hezbollah, Abbas Moussaoui. Bien qu’il ait été tué le 16 février (1992), avec son épouse, son fils et quatre de ses gardes, la cérémonie est prévue ce vendredi 22 février, après la prière. Le choix de la date n’est pas innocent, car il coïncide avec la première semaine de la mort de Maghnieh, et deux jours avant la date théorique des élections présidentielles (24 février). Or, après la démonstration de force de la majorité, le 14 février, avec un million et demi de Libanais qui ont commémoré l’assassinat de Rafic Hariri, plusieurs responsables de la majorité estiment qu’il est temps d’élire un président, avec ou sans quorum. Dans ce cas, la majorité pourrait procéder, le 24 février, à l’élection d’un président à la majorité simple.
D’où, la gravité du scénario prévu pour ce vendredi 22 février. Il consisterait à profiter de la prière du vendredi pour chauffer à blanc la communauté chiite (grâce aux deux événements majeurs qui l’ont marquée : assassinats de Moussaoui et de Magnieh) et pour la lancer contre le gouvernement afin de le renverser, voire assassiner ses membres. Certains éléments incontrôlés pourraient ainsi commettre des exactions sommaires contre des ministres et des députés de la majorité. Le Hezbollah a d’ores et déjà mobilisé 50.000 hommes depuis l’annonce de la mort de Maghnieh.
Ce coup de force serait un coup d’Etat déguisé qui déboucherait sur un fait accompli qu’aucune puissance régionale ou internationale ne pourrait arrêter. L’empire Perse allant de la Caspienne à la Méditerranée serait alors concrétisé. Une telle évolution occuperait la communauté internationale pendant un certain temps, laissant à l’Iran le loisir de parachever son programme nucléaire, et à la Syrie le temps de renforcer ses positions pour mieux négocier et obtenir l’abrogation du Tribunal international, une abrogation qui serait alors demandée par le futur pouvoir libanais.
En attendant le « jour J » et « l’heure H », la machine médiatique du Hezbollah a été activée pour justifier a priori le futur coup d’Etat. Il suffit de lire la correspondance de Walid Arafat dans le quotidien algérien « Ech-Chorouk », du 18 février pour le comprendre. Arafat, un proche du Hezbollah, accuse en effet la majorité libanaise de « comploter contre l’opposition en général et contre la Résistance en particulier, avec le concours du Mossad israélien, de la CIA américaine, et de plusieurs régimes arabes ». Ainsi, Walid Arafat nous apprend que « la majorité a constitué une milice et attend que la guerre civile éclate pour ouvrir ses entrepôts et distribuer les armes et les munitions fournies par Israël ». Pour étayer ses propos, Walid Arafat cite l’ancien député et l’un des porte-paroles de la Syrie au Liban, Nasser Kandil, selon lequel « Walid Joumblatt a rencontré récemment Ehud Barak. Les deux hommes ont mis au point un plan d’éradication du Hezbollah ». De son côté, le quotidien « Ech-Chorouk », qui avait déjà accusé Siniora d’être le meilleur agent du Mossad, affirme que « Samir Geagea doit se charger d’assassiner le général Michel Aoun ». Le journal rappelle l’arrestation de neuf membres de la sécurité de la télévision « LBC », au printemps dernier, lors d’entraînements, pour confirmer l’existence de ce plan contre Aoun. Enfin, pour justifier le coup d’Etat du Hezbollah, « Ech-Chorouk » affirme que « plusieurs régimes arabes ont demandé à Israël de reprendre la guerre contre le Hezbollah, pressant l’Etat hébreu d’éliminer Hassan Nasrallah considéré comme une menace pour l’ensemble des pays arabes », conclut le quotidien.
Ici, il convient de rappeler comment le Hamas, commandé depuis Damas, avait justifié son coup d’Etat contre l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas en menant une virulente campagne médiatique et en accusant le Fatah de projeter des attentats contre les dirigeants islamistes. « L’épuration » menée par le Hamas contre le Fatah était ainsi considérée comme « une réaction légitime contre les traîtres de Mahmoud Abbas ». Aujourd’hui, après une campagne de dénigrement menée par le Hezbollah contre le gouvernement, qualifié de traître, et relayée par plusieurs réseaux médiatiques à travers le monde, il devient difficile d’exclure au Liban une évolution semblable à celle de Gaza. Les jours à venir devraient apporter la réponse.
Khaled Asmar - Beyrouth