ISRAEL, LIBAN, SYRIE: LE TRIANGLE DE LA SUSPICION
Israël, Liban, Syrie, ou le triangle de la suspicion, des non-dits, des caresses furtives, de la haine pure.
INTERVIEW - Le professeur Moshé Maoz enseigne l’histoire de l’Islam et du Proche-Orient à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il est également chercheur émérite à l’Institut Truman.
Par Mati Ben Avraham à Jérusalem
in israelvalley
INTERVIEW EXCLUSIVE . Voici le Liban doté d’un président de l’Etat. La crise s’estompe. Mais va-t-elle s’effacer? Voici la Syrie qui souffle le chaud et le froid. Mais où incline t-elle? Voici Israël qui a deux fers au feu. Mais où sont les mains pour les retirer?
Liban Syrie Israël, ou le triangle de la suspicion, des non-dits, des caresses furtives, de la haine pure. Un triangle qui détient la clé qui, comme tout un chacun le sait, peut ou fermer ou ouvrir une situation donnée.
Le professeur Moshé Maoz enseigne l’histoire de l’Islam et du Proche-Orient à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Il est également chercheur émérite à l’Institut Truman.
De 1977 à 1979, il fut le conseiller pour le Proche-Orient auprès de la commission parlementaire de la Défense et des Affaires étrangères.
Les deux années suivantes, il tint le même rôle auprès du ministre de la Défense, Ezer Weizmann, assurant également la coordination des opérations dans les territoires occupés. Le professeur Maoz a publié cinq ouvrages et des dizaines d’articles sur le Proche-Orient, avec un accent particulier sur l’histoire politique et sociale de la Syrie, d’Israël et de la Palestine.
Mati Ben-Avraham : Que peut-on tirer des récents développement au Liban?
Prof. Maoz : La crise libanaise avait pour cause la volonté du Hezbollah de créer une république islamiste, patronnée par l’Iran. Le recours à la violence ayant échoué, ses dirigeants ont fait marche arrière, se disant disposés à se satisfaire d’une représentation élargie au sein de l’exécutif, ainsi que dans la sphère économique.
Cela dit, si l’on prend la répartition du pouvoir entre communautés religieuses de 1943, basée sur le recensement de 1932, on constate que les chiites ne représentaient que 20% de la population, de même que les sunnites, que les druzes oscillaient entre 6-7% et que les chrétiens étaient majoritaires. Aujourd’hui, les chiites ont atteint 40%. Ils réclament donc une représentativité plus conséquente, sinon l’annulation du système de péréquation du pouvoir voulu par les Français, et même un droit de veto sur les décisions gouvernementales.
Alors, c’est vrai que 80% de la population n’est pas chiite, que même à l’intérieur du Chiisme, il est un courant – Amal – qui se veut plus laïque, qui refuse de voir la Charria s’appliquer à toute la population. Il en est ainsi des druzes, des maronites, des grecs… Le Liban est donc en proie à des contradictions dont il est difficile de prédire l’issue.
Et n’oublions pas la Syrie, qui soutient le Hezbollah mais qui se sent mal à l’aise à l’idée que le Hezbollah devienne maître du Liban. D’autant plus qu’une telle mainmise pourrait provoquer des remous chez elle. En Syrie, la majorité religieuse est sunnite. Et il n’est pas clair du tout que la minorité alaouite soit d’ascendance chiite, comme certains le prétendent. Aussi, je ne suis pas persuadé que l’assistance syrienne aille jusqu’à un bouleversement politique radical au Liban.
MBA : La Syrie joue-t-elle au poker menteur?
Prof. Maoz : L’unique raison du soutien de Damas au Hezbollah est de disposer d’un outil de pression sur Israël, avec en toile de fond la récupération du Golan. Soit dit en passant, la Syrie instrumentalise le Hezbollah dans sa stratégie vis-à-vis de l’Iran. Entre le Hezbollah et l’Iran chiites extrémistes, la Syrie, je l’ai dit, est majoritairement sunnite cependant que le pouvoir en place est laïc. Dans ce contexte général, dominé par une idéologie religieuse forte, Damas représente un maillon faible. Aux pays arabes sunnites modérés, pragmatiques, aux Etats-Unis, à Israël d’en tirer profit, de tenter d’extirper la Syrie de l’axe du mal fixé par Washington.
C’est là un point très intéressant car il ne fait nul doute qu’un renversement d’alliance de la part des Syriens affaiblirait le potentiel militaire du Hezbollah et, partant, favoriserait un rééquilibrage des forces entre les diverses communautés libanaises et, par ricochet, une réorientation du Hizbollah vers le politique au détriment de la violence. Et au-delà, priverait le Hamas d’un soutien important.
Ce renversement a un prix : la restitution du Golan (assorti d’un traité de paix, et une aide financière massive, principalement des Etats-)Unis. Sans oublier de concéder à Damas une influence directe sur le Liban. Voilà, grosso modo, les paramètres qui sont placés sur la table des Américains et des Israéliens.
En ce qui concerne l’administration, Bush a tourné le dos à toute possibilité d’accord avec les Syriens, exerçant même une forte pression pour qu’Israël joue sa propre carte. Les raisons n’ont pas manqué : l’Iran, l’Irak, l’aide au terrorisme, le déficit démocratique… Il nous faudra, je pense, attendre l’arrivée d’un nouveau président, démocrate de préférence, pour que ces obstacles soient levés, pour que le dialogue se renoue. C’est un modèle que j’ai proposé, par ailleurs. Il y a donc là des possibilités extrêmement intéressantes.
En Israël, le débat a porté, et porte toujours sur l’opportunité d’un dialogue avec les Syriens. A l’état-major et au Ministère de la Défense, des voix poussent dans ce sens. Ehoud Olmert également. Il vient de le démontrer.
Le problème est de savoir s’il est à même de concrétiser les négociations indirectes en cours. Il est fragilisé par des problèmes d’ordre judiciaire d’une part, mais surtout par une opinion publique hostile à un retrait du Golan, même en échange de la paix. Olmert, c’est mon opinion, n’est pas l’homme de la situation. Il est incapable de nager à contre-courant.
Ehoud Barak lui-même a évité d’affronter pareille situation. Begin aurait pu le faire. Olmert, non!
La conjoncture, on le voit, ne se prête pas à une avancée. Seul un changement de la donne, impulsé par une nouvelle équipe dirigeante américaine, de préférence démocrate, pourra inverser le courant.
MBA : Dans ce contexte, dominé par le flou, qu’en est-il de l’Iran?
Prof. Maoz : D’une manière générale, je dirais qu’une action concertée des Etats-Unis et des pays arabes modérés, tels l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Emirats du golfe, la Turquie serait la bienvenue, en vue d’isoler l’Iran sur la scène internationale.
Resterait le nucléaire. Sur ce point, même si les avis sont discordants, il est évident qu’une solution militaire est à écarter. Et qu’il n’est pas question qu’Israël se lance dans une telle opération. Les Américains l’ont bien compris qui favorisent une démarche diplomatique, passant par des sanctions économiques.
Une hypothèse qui s’est faite jour dit que, après tout, si l’Iran parvient à l’arme nucléaire, il s’établira un équilibre de la terreur, comme entre les Etats-Unis et l’URSS au temps de la guerre froide. Qui, en effet, sera assez fou pour utiliser l’arme nucléaire quand il sait que la riposte de l’adversaire le détruira?
Et puis, il n’est pas impossible que se produise un changement de régime à Téhéran. A l’heure présente, l’éventail des possibilités est grand ouvert. Nul ne peut parier sur l’avenir. Mon avis est que les Syriens devraient intégrer le camp sunnite pragmatique, avec les Américains et, pourquoi pas, les Israéliens plutôt que de continuer avec les Iraniens. En cas de conflit ouvert, entre le shiisme et ses associés, y compris le Hamas et les sunnites, la Syrie sera très durement éprouvée. Israël aussi, mais dans une moindre mesure.
MBA : Une dernière question. Dans votre ouvrage, non traduit en français ” La direction palestinienne en Cisjordanie”, vous tracez, je résume, l’histoire d’une opposition violente entre un mouvement nationaliste imprégné de laïcisme, pragmatique, dominé par les grands notables – la famille Nashashibi entre autres, et un autre religieux, musulman extrémiste minoritaire, mené par le Mufti de Jérusalem, Haj Amin El Husseini. A l’arrivée, les extrémistes l’ont emporté, grâce à la paresse et à un machiavélisme de bas étage de la puissance mandataire. Ne sommes-nous pas dans un scénario semblable, à quelques nuances près?
Prof. Maoz : Sans aucun doute. Le pragmatisme de la direction du Fatah, à consonance laïque se heurte au fanatisme religieux du Hamas et autres, qui bloque tout dialogue sérieux, toute réelle avancée. En cela, la situation actuelle s’apparente avec celle qui a prévalu au temps du mandat britannique. Avec une nuance d’importance, cependant. Le conflit s’est élargi. Il y a d’autres partenaires, à l’extérieur. Et à mon avis, il dépend dans une large mesure de ce qui se passera avec la Syrie. Dans le cadre d’un accord-cadre, la question des réfugiés devra être tranchée. Ils sont 300 000 en Syrie. Si les parties s’accordent sur leur intégration, en majorité, dans l’Etat syrien, nul doute que ce point modifiera le jeu. Que la formule sera également applicable au liban. A partir de là, l’extrémisme islamiste perdra un atout majeur.—