"Palaestina" (1712), n’est pas un témoin crédible du peuplement juif en Eretz Israel
(Menahem Macina).
[*] "« Palaestina », ouvrage historique de 1712, apporte-t-il un éclairage essentiel?" ; Avi Goldreich, "Un voyage en Palestine, l'an 1695".
11/06/09
Manfred Lehman, de la Manfred and Anne Lehman Foundation à New York, a mis en ligne sur son site un article intitulé "Early Christian Travel Reports from Eretz Yisrael", qui n’est pas dénué d’intérêt. Lehmann détecte et collectionne tous les livres anciens chrétiens ayant trait à la Terre d’Israël, dans le but d’y trouver des confirmations, considérées comme objectives, puisque non juives, de la longévité et de la légitimité d’un peuplement juif multiséculaire et largement antérieur à la Première Aliya (1882-1902).
Parmi les livres dont il résume brièvement le contenu figure le Palaestina, de Hadrianus Relandus (Hadrien Reeland), à propos duquel j’ai mis en ligne deux articles sur notre site : Avi Goldreich, "Un voyage en Palestine, l'an 1695" ; et " « Palaestina », ouvrage historique du XVIIe siècle, apporte-t-il un éclairage essentiel? ".
J’avais déjà fait part de mes réticences à considérer Reeland comme un voyageur. Après avoir parcouru rapidement de nombreuses pages de son ouvrage (rédigé en latin), ma conviction était faite. L’auteur était un hébraïsant chrétien, à la mode du temps, plus soucieux d’historiographie à l’ancienne, de vocabulaire et de détails érudits, que de géographie et de peuplement de la Palestine biblique.
Mais le bref excursus de Lehman sur le Palaestina de Reeland, me réservait une surprise inquiétante. Je traduis, ci-après, le passage de son article, qui avait déclenché mon scepticisme :
« … Mais son compte-rendu [celui de Reeland] sur la Communauté des Hauteurs du Golan est le plus important. En page 815 du second volume, il décrit la vie d’une très riche communauté juive qui y résidait. Il décrit une synagogue allemande/ashkénaze et une synagogue hispano-portugaise/séfarade, dont certains membres avaient émigré d’Amsterdam. Nous savions depuis toujours que les Hauteurs du Golan, n’avaient pas de population arabe ou syrienne jusqu’à ce siècle [le 18ème, époque où Reeland a rédigé son ouvrage], mais qu’elles étaient le lieu [de résidence] d’un grand nombre d’anciennes communautés juives et de synagogues. Ce livre [écrit en] latin constitue donc une importante confirmation de ces faits. »
Persuadé d’avoir affaire à un malentendu, je décidai de lire attentivement cette fameuse page 815, où figurait le bref excursus sur le Golan, sur lequel se fondait Lehman pour en tirer les conséquences optimistes citées ci-dessus.
Voici le texte latin de la p. 815 (vol. 2) de l’ouvrage de Reeland, suivi de ma traduction française :
« !l"ïG / Ville en Bashan, donnée à la demi-tribu de Manassé (Dt 4, 43). Le nom s’écrit !AlG" Jos 21, 27 mais les Massorètes signalent qu’il faut lire !l"ÜAG. En son temps, Eusèbe mentionne une grande ville en Batanée, du nom de Gaulon. [Flavius] Josèphe distingue la Batanée de la Gaulonitide, et il fait mention de cette ville de premier plan, qu’il appelle Gaulanhj [Gaulanes] (De Bell. [Guerre juive] 1, 4). La prononciation Gau [Gau] pour Go [Go] perdure jusqu’à nos jours chez les Juifs, qui prononcent Menaura, Aulem et Mausche pour הרונמ [menorah], םלוע [Olam], & השמ [Mosheh], de là vient que le nom de Smausen [sic] s’est attaché à certains d’entre eux (qui sont appelés םיזנכשא [Ashkenazim], c’est-à-dire Germains [Allemands], et se distinguent des autres Lusitaniens [Portugais], ou Espagnols, appelés םיידרפס [Sfaradiim], tant par certains rites sacrés, que par leur mode de vie même, et qui ont une synagogue distincte dans la ville voisine d’Amsterdam) et que les gens du peuple de chez nous peuvent l’entendre abondamment dans leur bouche sous la forme de Mausis, ou Mosis, porté par beaucoup de Juifs. »
Ou bien Manfred Lehman ignore le latin, ou il s’est fié à quelqu’un qui a traduit pour lui cette notice à la va-vite. Mais le fait est là : rien dans ce texte ne corrobore les conclusions qu’il en a tirées.
On l’aura compris : le savant hébraïsant chrétien Reeland, qui vivait au début du 18ème siècle et se piquait d’érudition biblique et rabbinique, ne décrit nullement la présence, dans le Golan, « d’anciennes communautés juives et de synagogues en grand nombre… dont certains membres avaient émigré d’Amsterdam ». Il recense avec minutie des faits de vocabulaire, d’onomastique et de particularités de prononciation de toponymes anciens, et s’il parle, en effet, d’Ashkenazim et de Sefardim et mentionne leurs communautés et leurs synagogues, ce n’est pas à celles du Golan qu’il fait allusion, mais à celles du monde de son temps, et encore ne le fait-il que pour disserter sur la prononciation des mots.
La conclusion s’impose donc d’elle-même, me semble-t-il : ce pesant ouvrage ne constitue en rien une description de la « très riche communauté juive qui résidait », à l’époque dans le Golan.
Lehman a pris ses désirs pour des réalités. Il se pourrait que ce soit après l’avoir lu que des internautes ont été pris d’un engouement excessif pour cette compilation de multiples lectures savantes de l’époque. En tout état de cause, le passage traduit ici, n’a rien du récit d’un témoin oculaire, et il n’est certainement pas question d’y voir, comme le croit Lehman, l’attestation historique d’une présence juive exclusive dans le Golan.
Menahem Macina
Mis en ligne le 11 juin 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org