LE DOSSIER DU SOUS-PREFET : GUIGUE EST-IL ANTISEMITE ?

Publié le par shlomo


Il n’est pas difficile de voir où, une fois encore, vont les sympathies – et les antipathies – de M. Guigue.

À peu près au même moment – nous sommes en mai 2006 –, M. Guigue publie, sur Oumma.com, un article où il fait l’éloge de la lettre que le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, vient d’adresser au président américain George Bush (6). Voici comment, d’entrée de jeu, M. Guigue parle du négationnisme de Mahmoud Ahmadinejad :

« Entre autres sujets, Mahmoud Ahmadinejad y évoque le génocide hitlérien et pose une question: "Admettons que cet événement soit avéré, doit-il logiquement se traduire par l’instauration de l’État d’Israël au Moyen-Orient ?" Horreur ! Sainte indignation ! "Après cela, peut-on imaginer Washington plus disposé demain qu’hier à entrer dans des pourparlers directs avec la République islamiste? ", s’interroge gravement l’éditorialiste du quotidien du soir. Comme si la lettre du numéro un iranien se résumait à ce propos d’une ligne, devenu, pour la circonstance, son principal message.

Présentée comme un casus belli, cette question est pourtant celle que se posent le monde arabe et le monde musulman depuis un demi-siècle. Faut-il la bannir de nos cerveaux sous prétexte que la réponse est dérangeante pour l’Occident ? Faut-il l’invalider a priori, sans autre forme de procès, comme politiquement incorrecte? »


Après cette défense virulente bien qu’embarrassée du négationnisme iranien, vient un dithyrambe où sont vantées les vertus de la missive présidentielle:

« Mahmoud Ahmadinejad y parle des valeurs humanistes dont se prévaut l’Occident et en souligne la proximité avec celles dont se réclame la tradition musulmane. Il brosse un tableau saisissant de vérité du monde contemporain. »

Tout à son admiration pour le président iranien, M. Guigue offre à ses lecteurs un échantillon de la prose présidentielle, avec cette brève introduction digne d’une anthologie:

« On ne résistera pas au désir de citer quelques questions d’une rare pertinence. »

M. Guigue reproduit ensuite quelques platitudes extraites de la lettre de Mahmoud Ahmadinejad à George Bush, dans le style propre au président iranien.

M. Guigue ne réserve pas son enthousiasme au seul régime iranien. Le régime syrien – allié, il est vrai, du précédent – a droit, lui aussi, à ses éloges. Dans un article intitulé "Irréductible Syrie" (7), M. Guigue explique aux lecteurs d’Oumma.com que

« la Syrie demeure aujourd’hui le seul pays arabe qui soit resté debout. Mieux encore, elle a cristallisé autour d’elle un arc de la résistance à l’hégémonie américano-israélienne : Hamas-Hezbollah-Damas-Téhéran. Auréolé en 2006 d’une double victoire, politique avec le Hamas, et militaire avec le Hezbollah, cet arc de la résistance est le cauchemar des néo-conservateurs américains. Son centre névralgique est l’irréductible Syrie : c’est à Damas que les dirigeants du Hamas échappent aux missiles israéliens, et que le Hezbollah trouve son principal appui régional; c’est à Damas que bat encore le cœur d’un monde arabe en lutte contre ceux qui veulent lui imposer leur domination. »

En décembre 2006, Mahmoud Ahmadinejad reçoit à Téhéran une conférence consacrée à la négation de la Shoah. Comment M. Guigue – qui, nous l’avons dit, a d’autant plus affirmé sa sympathie aux victimes de la Shoah, que cette tragédie est la cause, selon lui, du parti pris pro-israélien de l’Occident chrétien – se tirera-t-il d’affaire ? Sa réponse, dans un article d’Oumma.com, est significative (8).

« La conférence sur le génocide hitlérien organisée par Téhéran a provoqué, comme il fallait s’y attendre, une avalanche de protestations indignées. Opération médiatique, cette initiative provocatrice visait, de toute évidence, à orchestrer une surenchère symbolique. Dans l’affrontement verbal avec l’Occident, le régime iranien s’en est pris à l’un de ses principaux tabous. Et après la crise des caricatures, il a infligé aux Occidentaux les rigueurs de la loi du talion : "vous insultez ce qu’il y a de plus sacré pour nous, alors ne vous étonnez pas si nous faisons de même" ».

Pour M. Guigue, le problème principal n’est pas le négationnisme, mais le fait que « la mémoire de la Shoah est devenue, entre les mains d’Israël et de ses alliés, une arme redoutable d’intimidation massive ». D’où cette affirmation lourde de sens:

« Peu importe si le génocide hitlérien a eu lieu sous la forme accréditée par l’histoire officielle. Mais l’événement a fourni une puissante justification morale à l’entreprise sioniste. »

Qu’on relise bien ce passage. Il n’y a pas de guillemets. Il ne s’agit pas d’une citation. C’est M. Guigue qui parle :

« Peu importe si le génocide hitlérien a eu lieu sous la forme accréditée par l’histoire officielle ».

M. Guigue a beau se démarquer de M. Faurisson, il parle exactement comme lui.

Il était « absurde » – concède cependant M. Guigue, qui ne veut pas être confondu avec la secte négationniste – « de convoquer un Robert Faurisson à l’appui de cette analyse ». Bref, M. Ahmadinejad aurait dû faire du faurissonnisme sans Faurisson.

Cependant, la présence des négationnistes à Téhéran n’est qu’un élément accessoire :

« Habilement soulignée par les médias dominants, cette ambiguïté de la conférence iranienne n’en épuise pas la signification. Mais il est clair que la cause palestinienne n’a rien à y gagner. Cette confusion des genres n’affecte guère sa légitimité, mais elle en brouille singulièrement le message. En un mot, il n’est nul besoin d’accréditer la thèse négationniste pour saper la légitimité d’un État qui drape son propre fascisme dans la tenue rayée des déportés. »

Finalement, entre les négationnistes assemblés à Téhéran et les personnes qui, en France ou ailleurs, se sont émues de la tenue de cette conférence, vers qui vont les sympathies de M. Guigue ? La réponse est sans équivoque. C’est aux dénonciateurs de l’antisémitisme que s’en prend le chroniqueur d’Oumma.com :

« Grand prêtre de cette nouvelle inquisition, Alain Finkielkraut les voit partout, ces antisémites, il les traque sans relâche, il les bombarde d’anathèmes. À l’instar de BHL, il amasse les royalties d’une notoriété exclusivement fondée sur cette paranoïa auto-entretenue à coups de truismes pontifiants. »

D’où cette conclusion, elle aussi lourde de sens :

« La jactance des pourfendeurs de l’antisémitisme est un discours obsessionnel qui a pour seule fonction, de toute évidence, le déni de la réalité. »

Le 26 mars 2007, M. Guigue tourne ses regards vers une autre région du monde : le Darfour. Mais les ennemis habituels ne sont jamais très loin. Dans un article d’Oumma.com, M. Guigue souligne que

« la cause du Darfour » est « coincée entre les associations juives américaines et les intellectuels organiques hexagonaux » (9).

La référence aux « intellectuels organiques » (expression que l’on retrouvera dans l’article du 13 mars 2008, et dont la proximité avec « les associations juives américaines » ne laisse aucune place au doute) suffit, apparemment, à déconsidérer cette cause. Pour qui en douterait, M. Guigue enfonce le clou, dans une réponse à un intervenant, postée le jour même sur le forum d’Oumma.com, suite à son article :

« L’interprétation dominante du conflit, largement erronée, vise à légitimer une intervention occidentale en la parant de vertus humanitaires. Comme par hasard, les lobbies pro-israéliens en sont les maîtres d’œuvre. »

Le lendemain, le 27 mars donc, le quotidien Libération publie, dans sa rubrique "Rebonds", une tribune de M. Guigue, consacrée au même sujet. Là aussi, le fonctionnaire s’en prend aux « faux amis » des populations du Darfour (10). Dénonçant

« un mouvement d’opinion médiatiquement orchestré » en faveur du Darfour, il souligne que « l’accusation de "génocide" » est « orchestrée par les médias américains », avec, en toile de fond, « les imprécations antisoudanaises des lobbies pro-israéliens ».

Sur le site Internet de Libération, comme sur Oumma.com, il y a un forum des lecteurs. Et, là aussi, la spontanéité de l’écriture permet de libérer le discours. Répondant aux nombreux lecteurs qui ont été indignés par son article, M. Guigue souligne

« qu’il est frappant de voir le rôle déterminant des milieux pro-israéliens dans la campagne antisoudanaise ».

Il s’en prend à

« la récupération éhontée de la souffrance darfourie par les chantres du néo-conservatisme américain et les admirateurs éperdus de Tsahal »,

une « récupération » qui est, selon lui,

une « frauduleuse OPA sur le malheur des autres » (11).

On n’est jamais aussi bien trahi que par son vocabulaire. Nous avons lu, dans un précédent article de M. Guigue, dont le sujet était la conférence négationniste de Téhéran, qu’Alain Finkielkraut, à l’instar de Bernard-Henri Lévy, « amasse les royalties » d’une notoriété « exclusivement fondée » sur la lutte contre l’antisémitisme. Outre le caractère grotesque de l’accusation, on ne peut qu’être frappé par la "financiarisation" du discours – un procédé qui, s’agissant des Juifs, est rarement innocent. Après les « royalties », voici donc l’« OPA ».

Le style, c’est l’homme.

 

© L’Arche

--------------------------------------


Notes

1. "Irak : american Chaos", Oumma.com, 20 mars 2006. M. Guigue montre, au passage, qu’il ne sait rien des opinions de Paul Wolfowitz sur le conflit israélo-arabe, qui sont éloignées de celles de « la droite nationaliste israélienne ». On dira, à la décharge de M. Guigue, qu’il n’est pas seul dans ce cas.

2. Aux origines du conflit israélo-arabe. L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 1998.

3. "Moyen-Orient: les deux sources de l’aveuglement occidental", Oumma.com, 18 avril 2006.

4. La guerre des mots, L’Harmattan, 2003. La citation du professeur Yves Chevalier est extraite de la recension qu’il a faite de ce livre dans le mensuel de l’Amitié judéo-chrétienne de France, Sens (2004/6). Le texte de cette recension (avec les textes des recensions de deux autres livres de M. Guigue, par le même auteur dans la même revue) a été mis en ligne le 22 mars 2008, par Menahem Macina, sur le site upjf.org

5. "La République au défi de l’ethnicité", Études, avril 2006.

6. "La lettre persane de Mahmoud Ahmadinejad", Oumma.com, 23 mai 2006.

7. "Irréductible Syrie", Oumma.com, 11 décembre 2006.

8. "La conférence de Téhéran et les Faurisson pro-israéliens", Oumma.com, 20 décembre 2006.

9. "Le Darfour et ses faux amis", Oumma.com, 26 mars 2007.

10. "Darfouris, attention aux « faux amis »", Libération, 27 mars 2007.

11. Liberation.com, 27 et 28 mars 2007.

--------------------------------------

Mis en ligne le 1er avril 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org

Publié dans ANTISEMITISME

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article