NAHR EL BARED JUSQU'AU BOUT

Publié le par shlomo


Le Premier ministre libanais Fouad Siniora a promis jeudi d'éradiquer le Fatah al-Islam, qu'il accuse d'instrumentaliser la cause palestinienne. Qualifiant le groupe d'"organisation terroriste", il l'a accusé de "tenter d'utiliser les souffrances et les luttes du peuple palestinien".

Dans le domaine de l’instrumentalisation, Fouad Siniora est, il faut le dire, un expert.

Lors du conflit de l’été dernier, suite à l’agression du Hezbollah, Fouad Siniora s’était bien gardé d’impliquer le Hezbollah dans le conflit, jetant de facto l’opprobre sur Israël, qualifié d’Etat agresseur (lire les larmes de Siniora, de Kébir Jbil, sur Primo).

Il a aussi instrumentalisé le peuple libanais lorsqu’il déclama que le Liban était un pays arabe, et par conséquent que son destin était lié à celui de la nation arabe.

Les Palestiniens instrumentalisent le Hamas, le Hamas instrumentalise les Brigades d’Al Aqsa ou Al Qods et les Palestiniens… La bonne conscience de nos valeureux droitsdel’hommistes en France instrumentalisent le conflit israélo-palestinien pour justifier leur haine du Juif.

Et les pays arabes eux-mêmes instrumentalisent les Palestiniens et depuis 40 ans.

Fouad Siniora profite de l’occasion pour se camper en sauveur du peuple palestinien : "Nous protégerons nos frères dans les camps" de réfugiés, voulant faire oublier que c’est sa propre armée qui tire sur des civils.

Il ne veut pas affirmer en public que les Libanais, quelque soit leur confession, ne pleureraient pas trop si les Palestiniens venaient à débarrasser le plancher. Il faut demander à l’homme de la rue à Beyrouth ce qu’il pense du PECDAR qui était il y a peu l’un des principaux employeurs du Liban. Le PECDAR est le fonds d’investissements palestinien pour la reconstruction.

Il a permis à Yasser Arafat et ses proches d’engranger de somptueux bénéfices depuis 30 ans. L’un de ses principaux dirigeants était Ahmed Koréï, l’un des derniers premiers ministres d’Arafat.

Mais les Palestiniens ne voient rien venir. Ils vivent depuis 30 ans dans la même misère, sans eau courante ni électricité alors que la firme censée les aider à se loger permet aux caciques palestiniens au Liban de vivre dans l’opulence, sur les fonds de l'aide internationale, cela va sans dire.

C’est cette misère surtout qui est le terreau de cet islamisme triomphant et jusqu’auboutiste. Ceux qui n’ont rien, ni aucun espoir ne flancheront pas, même devant une décision de l’ONU.

Pour cette raison, toujours retranchés dans le camp de réfugiés de Nahr el-Bared, les extrémistes jurent de repousser tout assaut militaire.

Le discours médiatique et politique en début de crise qualifiait le Fatah Al Islam de groupuscule incapable de nuire à la stabilité du Liban. Après 3 jours d’affrontements, remarquons que le terme a disparu. Les médias maintenant se gardent bien d’employer ce vocable et parlent même de connivence avec le terrorisme international.

Le plus étonnant est que cette évolution du langage se trouve sous la plume des mêmes journalistes. Trois jours leur ont suffi pour changer d’avis.

Autre évolution

Tout le monde craint maintenant que ce dernier avatar de la lutte islamique ne mette le feu de manière définitive au Liban. La contagion gagne les autres camps de réfugiés palestiniens. Tous savent que le nombre de morts annoncés par les médias n'a que peu de rapports avec la réalité. Tous craignent un autre Sabra, un autre Chatila. Et là, il n'y aura pas moyen d'en attribuer la responsabilité aux Israéliens, ce qui est très ennuyeux pour les mythes.

Les officiels palestiniens du Liban, les responsables des camps qui vivaient très bien des mannes de l’UNRWA, dont ils détournent sans honte une partie des fonds à des fins personnelles, ont certes pris leurs distances avec le Fatah al-Islam.

Fort hypocritement cependant puisque chacun connaissait depuis des mois au Liban la dangereuse progression des mouvements islamistes. Mais ils risquent forts d’être dépassés par la population.

De plus en plus de réfugiés protestent dans d'autres camps libanais contre les bombardements de l'armée qui ont largement détruit Nahr el-Bared.

Un accord interdit à l’armée libanaise de pénétrer dans les camps de réfugiés palestiniens. Même ce sacro-saint accord, qui assurait l’impunité totale aux corrompus et aux truands, pourrait bien sauter prochainement. Les troupes gouvernementales examinent l'option d'investir cette zone de non-droit libanais qu'est Nahr el-Bared.

Cette hypothèse risque de créer un précédent majeur dans les rapports entre Libanais et Palestiniens. De plus, les combats risquent d'être particulièrement meurtriers dans ce dédale de ruelles étroites.

Déjà, le leader druze Walid Joumblatt, membre de la coalition au pouvoir, a exhorté le Fatah et le Hamas à agir contre le Fatah al Islam à Nahr el-Bared. Il s'est exprimé sans ambiguïté : Soit ils (les leaders palestiniens) éradiquent ce groupe à Nahr el-Bared, soit c'est l'Etat qui va éradiquer le terrorisme", a-t-il dit. "L'Etat ne peut pas (...) accepter de compromis. S'il accepte un compromis, l'Etat va disparaître."

Parole grave, lourde de menaces.

Quelle que soit l’issue de cette crise, l'épisode Nahr el-Bared affaiblira un peu plus un gouvernement déjà fragilisé par le Hezbollah. Les officiels palestiniens locaux perdront la face devant leurs populations déchaînées et plus rien ne fera obstacle à un embrasement du pays.

Face à la complexité du problème libanais, il n’est pas certain que le charisme de Bernard Kouchner suffise à calmer le jeu.

Surtout s’il persiste à défier la Syrie en affirmant que le procès des assassins d’Hariri doit avoir lieu et qu’il aura lieu.

En disant cela aujourd’hui à Beyrouth, il vient de se faire un ennemi juré. Et le régime syrien s’y entend pour faire payer cher les affirmations de ce genre.

Car, pour ce qui est d’instrumentaliser, même Siniora ne leur parvient pas à la cheville. C’est dire !

© Primo, 24 mai 2007

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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