LETTRE OUVERTE A BERNARD KOUCHNER
Par AREZKI BAKIR ET NAFA KIRECHE le 27/05/2007
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Mr Le Ministre,
Tout d'abord, le Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie (MAK), que nous représentons en France, vous félicite pour votre nomination et vous souhaite bonne chance dans vos nouvelles fonctions.
Si nous nous adressons à vous, par l'intermédiaire de cette lettre publique, c'est pour attirer votre attention de chef de la diplomatie française sur une région du monde qui souffre dans l'indifférence générale : la Kabylie. Le fin connaisseur de la géopolitique mondiale et le défenseur des peuples opprimés que vous êtes, n'ignorent pas que cette région d'Algérie, fer de lance du combat pour la démocratisation du pays et pour la réappropriation de son identité historique, l'identité amazighe, est niée dans ses droits et reprimée de manière sanglante par le pouvoir algérien. Depuis l'indépendance du pays en 1962, l'histoire de la Kabylie n'est qu'une suite de révoltes contre un régime s'appuyant sur des marchandages économiques avec la communauté internationale pour étouffer et passer sous silence les exactions qu'il commet sur le peuple.
C'est avec amertume que nous dressons le constat que la politique étrangère de la France, traditionnellement pro-arabe, a conduit le pays des droits de l'homme à soutenir, voire à couvrir, des régimes anti-démocratiques et sanguinaires.
Ainsi, la France n'a jamais osé dénoncer et condamner ouvertement les pratiques scandaleuses du pouvoir algérien à l'endroit des populations qu'il administre. La realpolitik, terme permettant à un gouvernement de sacrifier l'exigence universelle des droits de l'homme au profit de ses intérêts économiques immédiats, est l'ennemi mortel des peuples sans état, des populations sans défense, des aspirations légitimes à la démocratie et à la liberté des citoyens emprisonnés dans des nations pratiquant la tyrannie et le totalitarisme.
En Algérie, la corruption, le clanisme, le clientélisme et le recours à la force sont les quatres mamelles de l'Etat. Rusé, le pouvoir a pris soin d'offrir, pour l'extérieur, une façade démocratique, façade dont se servent la plupart des nations occidentales pour justifier leur coopération.
Le peuple algérien, acculturé et pris au piège, se sent abandonné et isolé. En effet, pour mettre au pas la conscience des citoyens et empêcher tout pluralisme, le pouvoir algérien a recours à une arme de destruction massive : l'idéologie arabo-islamiste, utilisée pour miner de l'intérieur la société algérienne et dépersonnaliser la Kabylie. Région traditionnellement attachée aux valeurs universelles, elle lutte à huis clos pour sa survie.
Profondément amère et en colère contre ce qu'elle considère comme de l'indifférence, voire du mépris, une partie de la population se tourne vers l'islam politique, seule force médiatisée critiquant ouvertement le régime. Les plus fanatisés iront grossir les rangs du Djihad international, offrant leurs vies bafouées pour semer la terreur dans un monde qui les a abandonnés. Car qu'on ne s'y trompe pas : la majorité des jeunes qui épouse la cause du Djihad ne le fait ni par conviction, ni par idéal, leur engagement est motivé par la seule nécessité de faire éclater une colère et une haine accumulées par des années d'humiliations et de frustrations. Loin de nous l'idée de justifier ces comportements ignobles et abjectes, que nous condamnons avec la plus grande vigueur, mais nous ne voulons pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets !
L'autre effet pervers de la situation, notamment pour la France, est la suivante : la grande majorité de la population n'épousera pas le fanatisme islamiste mais rêve... d'exil ! Ainsi, rejoindre l'eldorado européen, principalement la France, est le seul objectif de la plupart des jeunes algériens. Mr le Ministre, vous le savez mieux que quiconque : la pression migratoire que connaît la France est l'une des principales conséquences de ses soutiens à certains régimes dictatoriaux.
L'aide économique au développement promise par tous les dirigeant politiques et tous les gouvernements, n'y changera rien :
la seule aide qui permettra à la France de juguler la pression migratoire est l'aide à la démocratisation des pays concernés, donc un soutien franc et déterminé aux oppositions démocratiques.
L'aide au développement sans l'aide à ceux qui luttent, souvent au péril de leurs vies, pour la démocratie et les droits de l'homme est non seulement vouée à l'échec mais, surtout, renforce ce qu'elle prétend combattre : les régimes concernés se servent de cette aide pour consolider leur pouvoir, pouvoir auquel veulent justement échapper les citoyens !
C'est la raison pour laquelle nous invitons le pays dont vous êtes un Ministre éminent à privilégier les gains politiques et économiques à long terme. Le Président de la République, Mr Sarkozy, semble abonder dans ce sens en affirmant qu'il ne privilégierait jamais "un contrat contre un principe".
La Kabylie, terre de martyrs, a beaucoup souffert de l'indifférence de la communauté internationale lors des émeutes du "printemps noir" d'avril 2001, pendant lesquelles 130 jeunes ont péris sous les balles réelles du pouvoir algérien. Beaucoup de blessés sont aujourd'hui soignés sur le territoire français. La France, trahissant sa vocation, n'a paradoxalement pas condamné le pouvoir algérien pour son "oeuvre". Prisonnière d'intérêts économiques aux effets pervers et d'un passé colonial qui la culpabilise, elle croit se racheter une virginité en ménageant systématiquement les responsables algériens. Or, elle ne fait que renier sa vocation, qui est d'être, comme l'a justement rappelé le nouveau Président de la République, Nicolas Sarkozy, "aux côtés de tous les opprimés de la planète".
Confondre le pouvoir algérien et le peuple algérien est une erreur. Aucun algérien digne de ce nom, amoureux de la liberté, de la justice et de la démocratie, ne se sentira insulté par la condamnation de ce pouvoir illégitime.
Pour terminer, nous tenons à vous informer que les kabyles, attachés aux valeurs de laïcité et de démocratie, qui ont beaucoup apporté à la France, fondent de grands espoirs sur le gouvernement dont vous faites partie pour infléchir cette politique de soutien aveugle et systématique au régime algérien.
Nous ne prétendons aucunement dicter à la France sa politique étrangère mais seulement attirer son attention sur la situation de la Kabylie, région niée dans son identité et aspirant à son autonomie politique. Le nouveau président a beaucoup évoqué la question de l'identité nationale pendant sa campagne. Sans une identité reconnue et des valeurs communes, la vie en société est problématique. C'est pourquoi la Kabylie cherche également à affirmer ses valeurs et son identité. Mr le Ministre, les kabyles souffrent, comme beaucoup de peuples opprimés ou ignorés, de se voir sacrifiés sur l'autel de l'économie.
Nous ne voulons pas que le principe de la "sélection économique" prime sur les valeurs universelles et détermine la nouvelle carte du monde. C'est pourquoi nous avons accueillis avec beaucoup d'espoir la nomination d'un médecin, défenseur du principe du droit d'ingérence, qui a voué sa vie à soigner les plaies de la Terre, au poste de ministre des affaires étrangères de la République Française. Une parcelle de cette Terre, la Kabylie, n'a que trop souffert.
Arezki BAKIR, Nafa KIRECHE, Nacer HAMADENE et Firman LALILI, membres de la direction du Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie (MAK) - Antenne France.
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