LES INTERETS FRANCAIS SONT-ILS MENACES AU LIBAN ?
L’analyse de Khaled Asmar - Beyrouth
Au Liban, tout porte à croire que la Syrie est déterminée à « croiser le fer » avec la France, sa seule chance de survie.
mardi 22 janvier 2008 - 03h19, par Khaled Asmar

Le quotidien koweïtien « Al Seyassah », du mardi 22 janvier, est on ne peut plus clair à ce sujet. Il révèle que des rapports de plusieurs services de renseignement européens et libanais ont mis en garde la France contre des opérations terroristes qui pourraient viser son ambassade à Beyrouth, ou ses militaires déployés dans le Sud, dans le cadre de la FINUL.
L’un des rédacteurs du journal koweïtien « Al Seyassah », Hamid Gheryafi, croit en effet savoir que « des responsables européens et libanais ont alerté le président français, Nicolas Sarkozy, et son gouvernement, sur les menaces qui pèsent de plus en plus sur les intérêts et les ressortissants français au Liban. Ces menaces deviennent de plus en plus pesantes, ajoutent les mêmes sources, après l’éclatement au grand jour des divergences entre Paris et Damas concernant le dossier libanais ». Le quotidien rappelle à ce sujet que le président français a menacé, fin décembre depuis le Caire, d’utiliser le Tribunal international qui doit juger les assassins de Rafic Hariri contre les dirigeants syriens qui manœuvrent et louvoient pour empêcher l’élection présidentielle au Liban.
« Al Seyassah » ajoute que quelques jours après l’explosion, le 15 janvier, visant les Américains à Beyrouth, plusieurs rapports des services de renseignement adressés aux pays européens et à la France, ont noté « la très grande hostilité à l’égard de la France qui a gagné les Syriens et leurs alliés libanais » (Hezbollah, Amal, le FPLP-CG, le PNSN…). Ils affichent désormais leur mécontentement de la politique de Nicolas Sarkozy et ne digèrent pas les critiques qu’il a formulées à l’encontre de Bachar Al-Assad depuis le Caire. Cette hostilité, conjuguée à l’absence de riposte américaine après l’attentat contre la voiture diplomatique des Etats-Unis, laisse craindre une récidive contre les intérêts français.
A cet égard, plusieurs cibles sont désignées : il en va de l’ambassade, située à la Résidence des Pins, au cœur de Beyrouth, à la lisière de la Banlieue sud chiite de la capitale, fief du Hezbollah, et à quelques encablures des camps palestiniens, notamment de Chatila. Les services de sécurité de l’ambassade ont été alertés du danger d’une attaque à la voiture kamikaze, ou à la roquette. Le centre culturel français et ses employés seraient également menacés, ainsi que les militaires français de la FINUL et des représentations commerciales...
Ces développements sont sans doute pris en compte par Paris, qui a renforcé les mesures de sécurité sur le territoire français après les multiples menaces proférées par des islamistes, officiellement liés à Al-Qaïda, mais qui pourraient être manipulés et commandités par les services syriens pour punir la France. En effet, le président Sarkozy n’avait pas apprécié les tergiversations syriennes et les tentatives d’Assad de l’humilier sur la scène diplomatique, en se dérobant devant ses promesses faites au ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, et aux conseillers de Sarkozy dépêchés à Damas à plusieurs reprises. Le comble fut le récent déplacement à Paris du gendre de Bachar Al-Assad, le général Assef Chawkate. Ce dernier a réitéré la volonté de la Syrie de faciliter la solution au Liban. Mais dès son retour à Damas, les Syriens ont oublié leur promesse et ont bloqué la solution préconisée par la Ligue arabe.
Le quotidien « Al Seyassah » ajoute, à ce sujet, que « la Syrie a enfoncé le clou en poignardant la France dans son dos, en tentant de contourner Paris à travers Berlin et Madrid, traditionnellement très proches de Damas ». D’où la visite de Walid Al-Moallem en Allemagne, la semaine dernière. Un déplacement qui a eu le seul mérite de diviser le gouvernement berlinois sur l’opportunité de recevoir le ministre d’un pays banni. Al-Moallem a ainsi trouvé porte close. Les responsables allemands lui ont en effet signifié que « la France est le seul pays mandaté par l’Union européenne pour traiter avec la Syrie ».
Après l’échec de la médiation arabe menée par Amr Moussa, la Syrie se retrouve plus que jamais isolée. Car, en guise de sanction, les pays arabes pourraient tenir très rapidement un « sommet extraordinaire » au Caire pour « tirer les conclusions de l’échec de Moussa à Damas ». Outre la condamnation attendue de la Syrie, ce sommet permettra à la Ligue arabe d’annuler son sommet ordinaire prévu à Damas en mars prochain.
Or, dans cette ambiance des plus tendues, la Syrie serait tentée par « l’opération de la dernière chance » qui consiste à « frapper un grand coup au Liban » pour obliger l’Occident à négocier avec elle. D’autant plus qu’elle a toujours excellé dans ce jeu. Non seulement elle favorise le vide constitutionnel au Liban, et elle tente d’asphyxier son économie en fermant (21 janvier) ses frontières aux marchandises, mais pire encore, elle songe à rééditer sa politique des années 1980, quand elle a introduit au Liban les premières attaques kamikazes, utilisées contre les Américains et les Français de la force multinationale. Etant restées impunies, ces attaques se sont transformées en « modèle » et ont inspiré Oussama Bin Laden pour mener ses « razzia » de Manhattan et de Washington (11 septembre 2001). Selon plusieurs experts, « par sa cruauté et son machiavélisme au Liban, le régime syrien a contribué à répandre le recours aux attaques suicides » sur toute la planète. D’ailleurs, Bin Laden l’avait reconnu en annonçant la création de « Qaïdat Al Jihad li Moukatale Al Yahoud wal Nassara » (Al-Qaïda pour combattre les Juifs et les Chrétiens) en février 1998.
Pour justifier ce qui pourrait attendre les Occidentaux au Liban, l’une des plus hautes autorités religieuses des Chiites libanais, l’ouléma Mohammed Hussein Fadlallah, vient de conseiller le président Sarkozy de « ne pas se laisser entraîner par les Américains dans la région » et de « prendre ses distances avec Washington ». Il a aussi critiqué l’installation de base militaire française aux Emirats Arabes Unis, tout comme il a dénoncé les achats d’armes occidentales par les pays de la région. Ainsi, en incriminant la France et en dénonçant ce qu’il qualifie d’offensive franco-américaine contre l’islam et les pays musulmans, Fadlallah, en fidèle serviteur de son maître syrien, justifie a priori toute attaque contre les Français.
Khaled Asmar - Beyrouth