Le 14 juillet à Paris, Assad retrouvera sa « virginité ». Se contentera-t-il de flirter avec la France ?

Publié le par shlomo

Editorial de Khaled Asmar - Beyrouth

« Sarkozy mange avec le loup et pleure avec le berger »

 par Khaled Asmar - Beyrouth

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En confirmant l’invitation adressée par le président français Nicolas Sarkozy à son homologue syrien Bachar Al-Assad, l’Elysée a suscité une avalanche de réactions de la classe politique française, indignée par ce geste jusque là gratuit. La plupart des Libanais manifestent leur dégoût et craignent avoir été sacrifiés sur l’autel de la « rupture ». D’autres, plus pragmatiques et réalistes, estiment qu’ils ont été vendus « peu chers ». En ce qui me concerne, cet épisode m’inspire quelques réflexions.

Catastrophé par cette évolution, un ami franco-libanais parisien m’a appelé à Beyrouth la nuit dernière, et m’a livré ses sentiments crus et cruels. Il m’a rappelé que son premier souvenir de Paris fut le slogan publicitaire qui fleurissait sur les panneaux du métro, à l’approche de chaque été, invitant les Français à « sortir couverts ». Cette publicité avait interpellé ce jeune étudiant, passant sans transition de la guerre aux bancs de la Sorbonne. Il avait demandé des explications à ses camarades et a eu le droit à un cours magistral : « avec l’approche des beaux jours, et avec la montée de la sève, les Français ont souvent tendance à multiplier les partenaires », lui avait-on dit. C’était le slogan d’une campagne de prévention contre le Sida. Avec son humour légendaire, mon ami franco-libanais m’a ressorti cette histoire pour me mettre en garde contre une tentative syrienne de flirter à nouveau avec la France, depuis leur rupture.

Cet épisode passe et repasse dans ma tête depuis la confirmation de l’invitation adressée à Assad, et j’ai du mal à m’empêcher de penser que le président syrien est convié au défilé du 14 juillet sans doute en guise de récompense pour services rendus. Et comment en être autrement, puisque Bachar Al-Assad, digne héritier de son père Hafez, a respecté la liberté de son peuple à choisir entre le cimetière et l’exil, à défaut de démocratie, et s’est montré le plus fervent promoteur de la liberté et défenseur acharné des droits de l’homme...

Mais au-delà de l’excès de colère qui alimente ma plume, et qui anime une majorité de Libanais, de Syriens et de Français – pour ne citer qu’eux – excédés par la cogitation élyséenne et par la précipitation du président Sarkozy à normaliser avec Damas sans contrepartie apparente, l’espoir n’est pas interdit. Car, comme le slogan « Sortez couverts » s’adressait essentiellement aux aventuriers d’une nuit sans lendemain, il y a fort à parier que le coup de foudre de Sarkozy pour Assad fera long feu. Dans ses relations internationales, l’habitude de la Syrie consiste en effet à « manger l’appât et à pisser sur l’hameçon ». D’ailleurs, cela fait désormais école au Liban, où le général Michel Aoun a appelé cette semaine les Libanais à accepter les aides offertes par la Fondation Hariri (qui distribue du gasoil aux familles nécessiteuses pour les aider à survivre durant la flambée des prix du pétrole) mais sans contrepartie politique. Aoun a textuellement dit qu’« il n’y a pas de mal à manger l’appât et à pisser sur l’hameçon », et a interdit, le plus démocratiquement possible, les Libanais de voter pour les Hariri en 2009. Il est donc permis de penser que le mariage Sarkozy-Assad se termine par un divorce, la mariée syrienne ayant du mal à respecter ses engagements et ne connaissant pas le sens de la fidélité. La Syrie cherche en effet à « épouser » Washington, mais en attendant, elle se contente de collectionner les amants européens.

Pourtant, certains parient au contraire sur une alliance heureuse entre Paris et Damas, le premier étant habitué à encaisser les coups et à avaler les couleuvres. Pragmatique, Sarkozy considère la Syrie comme un marché économique à conquérir, que certains n’hésitent pas à qualifier de « pays vierge qui s’offre à Paris » (lequel n’aura pas d’inquiétude qu’un juge lillois annule son mariage pour non-virginité de la partenaire !). Après les fiançailles franco-syriennes, qui seront célébrées le 14 juillet avec un feu d’artifice grandiose tiré aux pieds de la Tour Eiffel, alors que les deux fiancés piétinent le Parvis des droits de l’homme au Trocadéro, il sera permis de vendre des centrales nucléaires aux Syriens. Pourquoi Paris ne peut-il pas remplacer la centrale détruite par Israël, l’ennemi sioniste ? La France a bien proposé à l’Algérie et à d’autres pays arabes son savoir-faire nucléaire en dépit des réticences des Services de renseignements qui mettent en garde régulièrement contre le risque d’islamisation dans ces pays. Mais grâce au pragmatisme élyséen, le jour où les islamistes arriveront au pouvoir, la France aura connaissance de leur arsenal et pourra le neutraliser ! La France peut aussi rêver de vendre des armes à la Syrie, les caisses de son allié iranien regorgeant de dollars. Un armement moderne, dit-on, qui sera commandé par Damas, payé par Téhéran et utilisé par le Hezbollah. Car, le pragmatisme politique en vogue à Paris suggère qu’à défaut de désarmer le Hezbollah, il faut l’armer pour éviter sa colère et son terrorisme.

Mieux encore, le quotidien koweïtien « Al Seyassah » nous apprend, ce 13 juin, que « la Syrie envoie des combattants du Hezbollah aux académies militaires russes, munis de faux passeports syriens, pour parfaire leurs connaissances en matière de combats et de tactiques militaires… Ce qui irrite fortement les officiers syriens privés de ces stages – très lucratifs par ailleurs – et de plus en plus inquiets quant à la place occupée par le parti chiite libanais dans la vie politique syrienne ». De ce point de vue, il n’est pas interdit de penser que les « Résistants » du Hezbollah, que Sarkozy avait qualifiés de « terroristes », soient un jour admis à la prestigieuse école militaire de Saint Cyr, qu’ils défilent un 14 juillet sur les Champs-Elysées , qu’ils participent à la Garden Party de l’Elysée, et qu’ils lèvent leurs tasses de thé (l’alcool aura été interdit) en criant « Vive la République (islamique) ». Ce scénario me rappelle l’utilité du conseil de mon ami franco-libanais : « Sortez couverts ! ».

Khaled Asmar

Publié dans INTERNATIONAL

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