L'ETAT D'ISRAEL, QUELLE LEGITIMITE ? (III)
Etat d’Israël et Shoah, quel lien ? Voilà un sujet bien délicat. Il nous faut pourtant l’aborder. Les ennemis de l’Etat d’Israël utilisent comme argument le fait que les Occidentaux ont fait payer aux Arabes, notamment de Palestine, le prix de leur crime, la Shoah. Leur théorie veut que parce que l’Europe a exterminé des millions de Juifs, elle a, prise de "compassion", "donné" aux descendants de Jacob un Etat en Palestine, sur le dos des Arabes. La Shoah aurait d’une certaine manière engendré l’Etat hébreu. Beaucoup d’éléments d’histoire contredisent cette théorie. D’abord le fait que les bases de l’Etat d’Israël étaient largement fondées bien avant la Shoah. Le mandat de la SDN, socle juridique de l’existence de l’Etat d’Israël, date de 1922. A peu près toutes les institutions d’un Etat juif en Palestine existaient bien avant la Shoah (système scolaire, université, armée, système juridique, syndicat, sécurité sociale, une économie en plein développement, etc…). Des plans de partage avaient été proposés avant même que ne débute la deuxième guerre mondiale, notamment celui de la commission Peel en 1937. De plus, le vote à l’ONU en 1947 ne fut pas aussi évident que ne le laisse entendre cette théorie. De nombreux pays occidentaux ont hésité. La "compassion" pour les rescapés juifs de la deuxième guerre mondiale n’était pas l’élément dominant dans leur choix, loin s’en faut. Preuve en est l’abstention de la Grande-Bretagne, ou les tergiversations des USA, jusqu’à la dernière minute, et même après le vote, par exemple. La France, deux mois avant le vote, annonçait son abstention. Ses intérêts dans le monde arabe pesaient bien plus lourd qu’une soit disant volonté de "racheter" le crime nazi, à fortiori sur le dos des Arabes. De nombreux pays ayant voté pour le plan de partage n’avaient aucun sentiment de culpabilité par rapport à la Shoah : USA et URSS en premier lieu. Leurs motivations étaient autres, parfois très différentes les unes des autres, notamment pour l’URSS qui espérait dans l’Etat hébreu une passerelle communiste au Proche-Orient. Le sort des Juifs, même réfugiés des camps d’exterminations, ne pesait guère dans leur décision. Les enjeux d’une guerre froide Est-Ouest naissante étaient bien plus importants. A l’automne 1947, parmi les 11 membres de l’UNSCOP (commission des Nations Unies étudiant une solution pour la Palestine), 7 étaient favorables au plan de partage. Parmi ces 7 pays, 4 n’étaient pas européens (Canada, Guatemala, Pérou, Uruguay) et ne se sentaient pas spécialement concernés par la Shoah. Le lobby juif fut très actif à l’approche du vote de l’ONU. Le lobby arabe fut non moins actif, pour dissuader le plus de pays possible de voter le plan de partage, non sans brandir l’arme du pétrole. Si le drame de l’Exodus en 1947, très médiatisé, semble avoir été une bonne "publicité" en faveur d’un vote favorable pour les Juifs à l’ONU, cet élément est à relativiser. Tout d’abord par le fait que ces rescapés finirent leur périple … en Allemagne, et non en Palestine. On se souvient moins de la tragédie du Struma, ce bateau venant de Turquie, rempli de Juifs fuyant le piège hitlérien en 1942. Les Britanniques l’empêchèrent d’accoster en Palestine. N’ayant pas de lieu où débarquer, sauf à retourner dans le piège nazi, il finit par sombrer avec tous ses occupants, plus de 700 passagers. La compassion des Occidentaux fut bien loin d’être évidente, dans cette période de l’Histoire, y compris en 1947. Preuve en est le Livre blanc britannique de 1939 (consolidé par des accords internationaux bien qu’illégal au regard du Mandat de la SDN), en vigueur jusqu’en 1947, qui limitait drastiquement l’immigration juive en Palestine (15.000 par an, tandis que l’immigration arabe était illimitée), sans que grand monde, en Europe, ne s’en offusque outre mesure (lire également sur Primo "Réponses à un antisioniste" de Lewelyn Brown, en 10 parties). Et l’achat de terre par les Juifs en Palestine était interdit. Au contraire de l’Exodus, le vote à l’ONU concernant le plan de partage fut assez peu médiatisé, particulièrement en France. L’opinion publique ne fut guère mobilisée, le "soufflé" du bateau errant étant largement retombé. L’existence de l’Etat d’Israël vient d’abord et avant tout de la volonté d’un peuple. Certes, l’antisémitisme et les souffrances des Juifs en diaspora, la condition de dhimmis ou citoyens de seconde zone dans le monde musulman, ont contribué à l’avènement du sionisme et de l’Etat d’Israël. Mais ce dernier n’est pas le fruit de la Shoah, direct ou indirect, via une soi-disant ‘’compassion’’ occidentale sur le dos des Arabes. C’est peut-être même l’inverse. On peut voir dans la Shoah un événement visant à empêcher toute pérennité du peuple juif, y compris en Palestine. Des dirigeants sionistes, durant les pires heures de la Shoah, s’inquiétaient de ce qu’ils créaient un Etat pour un peuple en voie de disparition… Si Hitler voulait, dans un premier temps, éliminer les Juifs d’Europe, et ne voyait pas d’un mauvais œil leur départ pour la Palestine, cela n’a pas duré. Son projet était mondial, et l’alliance tacite qu’il fit avec le leader arabe palestinien, le Mufti de Jérusalem El Husseini, laisse penser que s’il l’avait pu, il aurait poursuivi son entreprise d’extermination jusqu’en Palestine. Non seulement la Shoah n’a pas donné naissance à l’Etat d’Israël, mais elle aurait pu annuler son avènement. Certains Juifs ultra-orthodoxes antisionistes, ultra minoritaires,(4) voient dans la Shoah une punition divine causée par l’entreprise sioniste. Pour eux le sionisme est une grave infidélité qui a déclenché la colère divine. D’autres Juifs sionistes-ultra-nationalistes, au contraire, voient dans la Shoah la colère divine causée par l’assimilation des Juifs d’Europe et leur trop fréquente indifférence au sionisme et au projet de constitution d’un Etat. Là encore, de telles interprétations ne sont pas acceptables, voire scandaleuses. Mais si on s’autorise un minimum d’interprétation de l’Histoire, tant il est vrai que celle-ci obéit à des "forces" qui dépassent les simples actions et volontés des hommes, on peut croire que l’émancipation des Juifs dans leur terre ancestrale "n’obéissait" pas au déroulement "ordinaire" de l’Histoire, et que le projet hitlérien visait plutôt, in fine, à l’empêcher. Il est heureux que la tenaille nazie, par l’Afrique du Nord d’un côté et par le Caucase de l’autre, n’ait pu aboutir… C’est probablement parce que nous sommes en face d’un destin plus que singulier, que la pérennité du peuple juif et sa renaissance nationale a donné, donne et donnera encore du fil à retordre aux historiens et à tous les idéologues. Quant à la légitimité de l’Etat d’Israël, elle n’est pas moins fondée que celle des autres Etats. Elle n’est pas moins fondée que celle d’un Etat arabe en Palestine, pourvu que ses dirigeants potentiels entreprennent enfin son existence future non pas en vue d’éliminer l’Etat hébreu, mais dans une volonté de bon voisinage avec lui. Hélas, les défaillances et les ambiguïtés de l’Autorité palestinienne-Fatah, le fanatisme du Hamas, les divisions inter-palestiniennes, la menace terroriste, mais aussi la complaisance de l’Etat d’Israël envers les implantations illégales, ne permettent pas, aujourd’hui, d’être optimiste pour la solution à deux Etats, la seule raisonnablement envisageable. Jean-Daniel Chevalier © Primo, Août 2008 4 - C'est le cas des Nétouré Karta Bibliographie | ||
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