La source de tous les mythes
Texte original anglais : "The Mother of All Myths", 29 mai 2009
Traduction française : Menahem Macina
Un livre de Dennis Ross, conseiller spécial pour l'Iran, du Secrétaire d'Etat […] est en désaccord gênant avec la thèse du "lien [entre tous les conflits]", soutenue par l'administration Obama.
Dans un chapitre intitulé "La source de tous les mythes", Ross écrit :
« De tous les mythes politiques qui nous ont empêchés de réaliser de vrais progrès au Moyen-Orient, il en est un qui se distingue par son impact et sa longévité: c’est l'idée que si le conflit palestinien était résolu, tous les autres conflits d'Orient fondraient comme neige au soleil ».
En attendant, l'administration Obama – pour laquelle Ross travaille actuellement – fait pression sur Israël, en partie parce que le président espère qu’un progrès dans la résolution du conflit palestinien contribuera à faire échec à la propention iranienne à développer des armes nucléaires.
Ross a terminé son manuscrit et l’a vendu à Viking Press avant que le président l'ait engagé dans son équipe, mais il a eu raison d’écrire cela, et c’est encore valable aujourd’hui. Les plus grands problèmes du Moyen-Orient – et la volonté de l'Iran d’acquérir des armes nucléaires en fait sans aucun doute partie – ont peu ou rien à voir avec le conflit israélo-palestinien. La haine que voue le régime iranien à Israël est, certes, réelle, et les missiles nucléaires dont il disposerait constitueraient une menace sérieuse [pour l’Etat juif], mais, selon toute probabilité, l'Iran aspirerait à s’équiper des armes les plus puissantes du monde, même si Israël n'existait pas.
L’érudit Martin Kramer identifie neuf "grappes de conflits" régionaux et affirme que "beaucoup de ces conflits sont des symptômes du même malaise: l'absence d'un ordre moyen-oriental qui remplace les anciens empires islamiques et européens. Mais ce sont des symptômes indépendants ; un conflit n’en cause pas d’autres, et sa 'résolution' ne peut pas en résoudre un autre."
Ross donne l’impression qu’il enfonce une porte ouverte quand il dit que ceux qui croient à la théorie du "lien [entre les conflits]" pensent que "tous les autres conflits d'Orient fondraient comme neige au soleil" pour peu que les Palestiniens aient un Etat. Je ne sais pas si le Président Barack Obama irait aussi loin, mais l'ancien Président Jimmy Carter le fait presque, lorsqu’il dit :
« Moins de 5 pour cent des populations de nos anciens proches amis de la région, l'Egypte et la Jordanie, sont favorables aux Etats-Unis aujourd'hui. Ce n'est pas parce que nous avons envahi l'Irak : ils détestaient Saddam. C'est pas parce que nous ne faisons rien pour la condition difficile des Palestiniens. Il ne fait aucun doute que le chemin vers la paix au Moyen-Orient passe par Jérusalem. »
Les populations d'Egypte, de Jordanie et d'autres pays arabes ont une liste presque inépuisable de griefs à l’encontre des Etats-Unis. Beaucoup sont fondés sur des théories de conspiration, fantasmagoriques et inventées par le pouvoir, qui n'ont rien à voir avec la Cisjordanie, Gaza, ou quoi que soit d’autre dans la réalité. Il est certain que leurs populations ont été exaspérées par l'invasion de l'Irak, indépendamment de ce qu'elles pensaient de Saddam Hussein. Le soutien américain d'Israël irrite un nombre énorme de musulmans arabes, mais la plupart des "grappes de conflits" de la région, comme les appelle Kramer, ont peu, ou rien à voir avec Israël ou les Etats-Unis.
L'ancien Président Carter, comme la plupart des Occidentaux, a une vue occidentalo-centrée du monde. Il pourrait difficilement en être autrement. La plupart des Chinois ont une vue sino-centrée du monde, la plupart des Indiens, une vue indo-centrée, etc. Un de problèmes de l'ancien Président Carter, ici, est une analyse occidentalo-centrée.
Des cinq plus sérieux problèmes du Moyen-Orient, à part le conflit arabo-israélien, un seul – la guerre d’Irak – a été provoqué, d’une certaine manière, par Israël ou les Etats-Unis. Mais Israël n'est pas impliqué dans la guerre en Irak. Les quatre autres problèmes – l’islam radical, le manque de démocratie en dehors du Liban et de l'Irak, l’aspiration de l'Iran à l'hégémonie régionale, et le conflit entre sunnites et chiites – ne peuvent être raisonnablement mis au compte des Etats-Unis, d'Israël, ou du conflit arabo-israélien.
Voyons ces problèmes dans l'ordre. La guerre en Irak implique évidemment les Etats-Unis, mais les Israéliens et les Palestiniens ont peu, voire rien du tout à y voir.
« Il est certain que le conflit israélo-palestinien et le conflit iraqien sont interactifs », affirmait l’ancien conseiller à la sécurité nationale du Président Carter, Zbigniew Brzezinski, en 2003. Au mieux, c'était à peine vrai en 2003, et l'idée est une absurdité aujourd'hui. Les insurgés d'Irak et les groupes terroristes ont passé ces six dernières années à combattre les Américains et à se battre entre eux. Qu’est-ce qu'une bombe placée dans une voiture, sur un marché de Bagdad, par des Iraqiens pour tuer d'autres Iraqiens, a à voir avec Israël ? J'ai visité l'Irak sept fois, et pas une seule fois je n’ai entendu un Iraqien mentionner Israël avant de m’en enquérir moi-même. Presque tous les Irakiens auxquels j'ai parlé du conflit arabo-israélien ont paru trouver mes questions étrangement non pertinentes et sans rapport avec leurs problèmes et leur vie.
Les islamistes radicaux haïssent Israël et les Etats-Unis, mais ils fomenteraient des troubles même si Israël et les Etats-Unis cessaient d'exister. La variante sunnite moderne de l'islam radical a commencé avec la montée du wahhabisme en Arabie Saoudite, au XVIIIe siècle, et s’est étendue depuis à six continents. Il est assez facile de dissocier ce problème du conflit arabo-israélien, ne serait-ce qu’en regardant au delà du Moyen-Orient. Les Talibans ne combattent pas au Pakistan et en Afghanistan pour "libérer" Gaza. Ils jettent de l'acide au visage des femmes non voilées. Ils ont fait sauter les statues antiques de Buddha à Bamiyan, avec des lance-missiles anti-aériens. Un Etat palestinien indépendant n'a aucune chance de calmer leur fanatisme ou leur soif de destruction des autres. Et c'est juste un exemple.
Ce n’est certainement pas la faute d'Israël si la plupart des régimes arabes ne sont pas démocratiques, et le fait d’établir un "lien" entre le conflit arabo-israélien et le despotisme arabe fait seulement l'affaire des tyrans de la région. Jay Nordlinger a efficacement brocardé ce qu'il appelle les fabricants d’excuses, après avoir participé au Forum Economique Mondial sur le Moyen-Orient, il y a quelques semaines, en Jordanie.
Paraphrasant ces "fabricants d’excuses", il écrit :
« Les pays arabes ne peuvent cesser de mettre à mal le socialisme tant qu'Israël n’évacue pas la Cisjordanie. Le népotisme doit continuer jusqu'à ce qu’Israël quitte la Cisjordanie. Les femmes ne peuvent pas conduire et les "crimes d'honneur" doivent continuer, tant qu’Israël ne s’en va pas. La corruption doit régner dans les pays arabes tant qu’Israël occupe la Cisjordanie. Etc., etc. Cette attitude n’est pas seulement démente, elle est nocive jusqu’à la destruction. »
Il ne fait pas de doute que le régime iranien déteste sincèrement Israël, et une bombe nucléaire iranienne constituerait une grave menace pour les Israéliens, mais il ne semble pas du tout que les Iraniens renonceraient à leur course à ces armes si la Cisjordanie et Gaza devenaient souverains. L’actuel gouvernement de l'Iran s’est agressivement efforcé d’avoir la domination régionale sur les Etats arabes, depuis que les khomeinistes sont devenus le fer de lance de la lutte post-révolutionnaire pour le pouvoir. L'Iran - ou l'empire perse comme on avait coutume de l’appeler - a combattu pour la domination régionale depuis l’époque antérieure à l’existence même de l'islam.
Depuis la création de l'Etat d'Israël, en 1948, beaucoup plus de gens ont été tués par les sunnites et les chiites qui se battent sauvagement entre eux (un million de morts dans la seule guerre Iran-Iraq, et des dizaines de milliers en Irak, beaucoup plus récemment), que dans le conflit arabo-israélien. La haine mutuelle entre sunnites et chiites est antérieure de plus de 1.000 ans à la création d’Israël.
La fin du conflit arabo-israélien sera un grand jour, mais, même s'il se terminait demain, le Moyen-Orient resterait un marécage dysfonctionnel violent. Il est tout à fait improbable que ce conflit s’achève durant le mandat d’Obama, en tout cas. Ce ne sera pas la faute du président. Rien de ce que n'importe qui puisse faire à court terme ne persuadera des gens comme le Hamas de renoncer au rêve de la destruction d'Israël, ni, bien sûr, de signer un traité de paix permanent avec Benjamin Netanyahu. Cela ne se produira pas certainement pas avant que l'Iran puisse développer des armes nucléaires, comme le président l’espère. Le temps restant indiqué par l’horloge est trop court.
Michael J. Totten
© Commentary
Mis en ligne le 9 juillet 2009, par M. Macina, sur le site upjf.org