LES BERBERES ET LE PANARABISME !

Publié le par shlomo

Le dirigeant berbère Belkacem Lounes : "Il n’est de pire colonialisme que celui du clan panarabiste qui veut dominer notre peuple."
Belkacem Lounes, président du Congrès mondial Amazigh, a écrit une lettre ouverte au dirigeant libyen Kadhafi pour réagir à son discours du 1er mars démentant l'existence d'un peuple berbère ou Amazigh (1) en Afrique du Nord. Dans sa lettre, datée du 10 avril, Lounes objecte qu'il n'est pas possible d'ignorer les 30 millions d'Amazigh qui vivent aujourd'hui en Afrique du Nord. Il précise que les Amazigh ont joué un rôle central dans la lutte contre le colonialisme européen, mais que depuis l'indépendance, ils ont été opprimés par le "colonialisme interne" du panarabisme, qualifié d'idéologie impérialiste. Lounes estime qu'il est dépassé de considérer la diversité comme un danger, et appelle les gouvernements d'Afrique du Nord à devenir démocratiques et à respecter les droits de l'Homme. Extraits de la lettre : (2)

Quelle pire injure au droit le plus élémentaire que celui de nier l’existence d’un peuple

"(…) J'ai attendu ce mois d’avril pour répondre à votre discours. Car c’est au cours de ce mois que l’ensemble du peuple amazigh célèbre chaque année dans tous les pays de Tamazgha (Afrique du Nord et territoires touaregs du Sahara) et ailleurs, un grand moment de son histoire qui porte le nom de "Tafsut imazighen" (le printemps amazigh). (3) C’est pour nous, la célébration de notre mémoire, de notre esprit de résistance à toutes les formes d’impérialisme et de notre amour pour la liberté.

(…) C’est de femmes, d’hommes et d’enfants qui parlent leur langue amazighe au quotidien, dont vous avez parlé. C’est de femmes, d’hommes et d’enfants qui vivent chaque jour leur identité amazighe que vos paroles ont blessés. Quelle pire injure au droit le plus élémentaire que celui de nier l’existence d’un peuple ? (…)"

"Il est difficilement imaginable que vous puissiez ignorer l’existence des 30 millions de locuteurs amazighs en Afrique du Nord"

"Sur la civilisation amazighe, vous prétendez qu’elle a disparu suite à "un siècle de sécheresse en Afrique du Nord" ! Là aussi, provocation et polémique mises à part, il est difficilement imaginable que vous puissiez ignorer l’existence des 30 millions de locuteurs amazighs vivant aujourd’hui dans tous les pays de Tamazgha [d'Afrique du Nord] (…)

Vous laissez entendre que les Amazighs seraient même une invention du colonialisme ! Quel est ce colonialisme capable de créer ex-nihilo un peuple avec sa langue et ses traditions qui datent de plusieurs milliers d’années ? Comment aurait-il pu le faire étant donné que lorsque le premier étranger est arrivé sur le sol nord-africain, il a trouvé les Amazighs déjà là et depuis bien longtemps ? (…

Comment expliquer ces contradictions et le retour brutal à cette volonté de négation d’une histoire et d’une réalité palpables ? Vous niez même l’évidence lorsque vous nous avez assuré que le problème amazigh n’existait pas en Libye. Mais (…) les Amazighs libyens subissent comme ailleurs, l’ostracisme, l’exclusion et les discriminations de toutes natures. (…)"

"Penser que la diversité est un danger est une idée archaïque et totalitaire."

"Vous dites que "la Libye est pour tous les libyens", et que vous n’accepterez pas que quelqu’un dise qu’il a telle ou telle identité. Soit, mais alors il faut immédiatement supprimer toute référence à l’arabité dans tous les textes législatifs du pays, ainsi que dans les dénominations des institutions politiques, économiques et culturelles, à commencer par Jamahiriya arabe libyenne, Libyan arab airlines, Union du Maghreb Arabe…etc. A ce moment-là, nous serions tout à fait disposés à parler d’une "Libye libyenne", avec son histoire, ses langues et ses cultures. Mais si votre conception de la Libye est celle d’un pays exclusivement arabe, alors pour nous, le combat pour notre identité continue…

Par ailleurs, vous menacez les Amazighs en avertissant que celui qui revendiquera son identité, sera considéré comme un traître au service du colonialisme. Tout d’abord, penser que la diversité est un danger est une idée archaïque, totalitaire et contraire à tous les principes du droit universel."

"Nous sommes un peuple et nous sommes déterminés à vivre libres."

"De plus, je me vois obligé de vous répéter ici ce que nous vous avons dit verbalement : nous sommes un peuple et nous sommes déterminés à vivre libres, quoi qu’il nous en coûte. Nous sommes plutôt pacifiques et hospitaliers. Celui qui nous tendra la main, nous le prendrons dans nos bras, mais celui qui tentera de nous empêcher de vivre dignement, nous le combattrons par tous les moyens légitimes."

Les Amazigh sont les premiers à avoir combattu le colonialisme

"Quant au colonialisme, l’histoire prouve que les colonisateurs n’ont pas eu besoin de nous pour occuper notre pays, au contraire, les premiers à les avoir combattus, ce sont les Amazighs, car ils avaient le sentiment de défendre leur pays, leur terre ancestrale.
Au sein du mouvement national algérien, lorsque les Amazighs de ce pays ont posé dans les années 1940, la question de l’identité algérienne après l’indépendance, les clans arabonationalistes les ont immédiatement accusés de diviser le mouvement, de faire le jeu du colonialisme et les ont exclus.

Plus d’un demi-siècle plus tard, lors d’un colloque tenu en 2005 à Alger sur l’histoire du nationalisme algérien, les historiens ont affirmé à l’unanimité que les vrais patriotes, c’étaient justement le groupe des exclus car ils posaient les fondements d’une Algérie authentique, démocratique, une Algérie d’abord algérienne, riche de son amazighité et de toutes ses composantes linguistiques et culturelles.

L’ingratitude est identique envers les Amazighs du Maroc qui ont fourni les plus gros contingents à la lutte contre les occupants espagnols et français dans le Rif et dans l’Atlas et aujourd’hui les héros de cette résistance sont ignorés par l’histoire officielle.

La même mésaventure est arrivée aux Amazighs de Libye qui, après avoir été très nombreux à consentir le sacrifice suprême pour la liberté de tous les libyens, se retrouvent aujourd’hui menacés, injuriés, spoliés même de leur droit à l’existence par ceux-là même aux côtés desquels et pour lesquels ils ont combattu (…)"

"Le défi de l’instauration de la culture du dialogue et de l’amitié entre les civilisations et les peuples exige une lutte sans merci contre tout acte d’intolérance, de racisme et de discrimination."

"Nous nous plaisons à penser que le colonialisme n’est plus dans notre pays, mais il n’est de pire colonialisme que celui de l’intérieur, celui du clan panarabiste qui veut dominer notre peuple. C’est en définitive l’arabisme en tant qu’idéologie impérialiste refusant toute diversité en Afrique du Nord, qui constitue une traîtrise et une offense à l’histoire, à la vérité et à la légalité.

Même la religion musulmane a été instrumentalisée pour servir ces desseins d’arabisation et de domination. La reine amazighe Dihya était la première, il y a de cela 14 siècles, à avoir compris cette stratégie coloniale. C’est pourquoi elle a déclaré aux Arabes venus attaquer son royaume : "Vous dites que vous êtes porteurs d’un message divin ? Eh bien, laissez-le et repartez d’où vous venez !" (…) (4)

En principe, il est de la responsabilité de tout chef d’Etat de protéger, de respecter et de promouvoir les droits de son peuple. Le défi de l’instauration de la culture du dialogue et de l’amitié entre les civilisations et les peuples exige une lutte sans merci contre tout acte d’intolérance, de racisme et de discrimination.

Sur ce plan, nous attendons des chefs d’Etat arabes d’Afrique du Nord, à la fois l’abolition des politiques de négation et d’exclusion du peuple amazigh et beaucoup plus d’ambition pour les droits de l’homme. C’est à l’aune de la reconnaissance du peuple amazigh et de ses droits inaliénables que se mesureront la sincérité des gouvernements et leur volonté de bâtir des sociétés paisibles (…)

En attendant, forts de la justesse de notre cause, convaincus de la légitimité de nos droits, nous poursuivrons sans relâche notre combat pour la dignité et la liberté de notre peuple par des moyens démocratiques. Nous réaffirmons aujourd’hui qu’au vu des impasses vers lesquelles les gouvernements arabistes d’Afrique du Nord nous conduisent, il est pour nous urgent de saisir le droit de prendre notre destin en main, en demandant à la communauté des Nations son soutien pour l’exercice de notre droit à l’autodétermination, dans tous les pays où nous vivons en Tamazgha.

Et comme l’exige notre noble combat, nous resterons des éternels optimistes, en quête permanente des raisons d’espérer, encourageant de manière privilégiée les aspects positifs de la nature humaine et en nous efforçant toujours de laisser sa chance à la moindre lueur, au moindre interstice de liberté (…)"

(1) Nombreux sont les Berbères qui préfèrent se définir comme "Amazigh" (libres) dans leur langue

(2) http://www.kabyle.com/CMA-kadafi-letter,12068.html, le 10 avril 2007. Consulter des extraits du discours de Kadhafi sur : http://memri.org/bin/french/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP153507, "Dans un geste de bonne volonté envers l’Iran, Kadhafi déclare l’Afrique du Nord chiite et appelle à l’établissement d’un nouvel Etat fatimide".

(3) Le "Tafsut imazighen" ou printemps amazigh commémore un tournant de l'histoire berbère culturelle moderne. Le 10 mars 1980, le gouvernement algérien a empêché Mouloud Mammeri, écrivain et linguiste berbère kabyle renommé, de donner une conférence sur la poésie kabyle ancienne à l'université de Tizi Ouzo, première ville de Kabylie. Cela a entraîné une série de protestations et de grèves qui ont duré plusieurs mois et conduit à l'arrestation de dirigeants berbères et de militants pour la démocratie.

(4) Selon l'historiographie nord-africaine ancienne, Dihiya, aussi connue sous le nom de La Kahina, était une reine berbère ayant mené la résistance contre les conquêtes arabes.


 

TEXTE REPRIS DU SITE MEMRI

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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