LA PALESTINE , OU L'ETAT MANQUE

Publié le par shlomo


8 août 2007 -
Shlomo Avineri | La Libre Belgique

Depuis les années 20 sous mandat britannique jusqu’à la prise de Gaza par le Hamas, les Palestiniens ont une histoire difficile à surmonter - celle de la division interne et des guerres intestines.

Chaque semaine, semble-t-il, voit la Palestine faire un nouveau pas en arrière. L’incapacité du président Mahmoud Abbas à réunir l’Assemblée législative palestinienne suite au boycott du Hamas pourrait inexorablement entraîner l’effondrement définitif des structures politiques nées des Accords d’Oslo. Malheureusement, ce n’est là que le dernier chapitre de l’histoire tragique des tentatives palestiniennes pour créer un Etat-nation.

Les Palestiniens voient leur histoire comme une lutte contre le sionisme et Israël. Cependant, la réalité est plus compliquée et marquée par des échecs répétés à créer une entité politique cohérente, même lorsque des opportunités historiques se présentaient. Le premier a sans doute eu lieu dans les années 1920, lorsque le gouvernement britannique alors mandataire en Palestine encouragea les deux communautés nationales - Juifs et Arabes - à établir des institutions communautaires autonomes pour prendre en charge l’éducation, les aides sociales, le logement et l’administration locale.

Les Juifs - qui représentaient alors moins de 20 pc de la population de la Palestine britannique - mirent en place ce qui prit le nom de Comité national (Va’ad Leumi), reposant sur un corps élu, l’Assemblée représentative des Juifs de Palestine. Des élections régulières eurent lieu pour élire cette assemblée, parfois avec plus d’une dizaine de partis en compétition.

Cette institution autonome devint le précurseur de la structure politique de l’État juif naissant, et ses dirigeants - parmi lesquels David Ben Gourion - apparurent comme la future élite politique israélienne. Israël parvint à se bâtir en tant que nation, avec une vie politique animée et parfois tumultueuse, justement parce que ses dirigeants se servirent de cette opportunité.

Les Palestiniens, pour leur part, ne créèrent jamais de pareilles structures : un Haut Comité arabe, constitué de notables régionaux et tribaux, vit le jour, mais aucune élection n’eut jamais lieu. Le Mufti de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini (qui s’allia plus tard à l’Allemagne nazie), en prit la tête, mais la direction du comité ne parvint jamais à obtenir l’approbation générale ou à donner à la communauté arabe l’arsenal de services éducatifs et sociaux offert aux Juifs par leurs institutions élues.

Le deuxième échec eut lieu avec la révolte arabe contre l’autorité britannique en Palestine durant les années 1936-1939, qui s’accompagna d’attaques terroristes massives contre les civils juifs. Cette révolte fut sauvagement réprimée par l’armée britannique, mais pas avant qu’une scission au sein de la communauté palestinienne ne donne naissance à deux milices armées - l’une issue du clan Husseini, l’autre de la famille plus modérée des Nashashibi - qui s’opposèrent violemment. La guerre des milices tua plus de Palestiniens que l’armée britannique ou les forces de défense israéliennes.

Le troisième échec - encore plus tragique - eut lieu en 1947-1948, avec le rejet par les Arabes de Palestine du plan de partage des Nations Unies, qui envisageait la création d’Etats juif et arabe séparés après le départ des Britanniques. Alors que les Juifs acceptèrent le compromis, les Arabes de Palestine, soutenus par les pays de la Ligue arabe, le rejetèrent et partirent en guerre contre l’Etat naissant d’Israël.

Ce rejet par les Arabes de Palestine, et le problème des réfugiés qui en résulta, fut un moment clé pour les Palestiniens. A ce moment de la narration, on oublie souvent de préciser que, si la quasi-totalité des secteurs de la société arabe palestinienne rejetait le plan des Nations Unies, les Palestiniens n’en furent pas moins incapables de concevoir des institutions politiques cohérentes et un commandement militaire unifié, afin d’affronter une communauté juive bien plus modeste. A l’inverse, avec David Ben Gourion et la force de défense juive (Hagannah), la communauté israélienne assaillie réussit à mobiliser, au travers de ses institutions démocratiques et sans dissidence majeure, les ressources nécessaires à une campagne militaire réussie.

A vrai dire, nombre de leaders politiques palestiniens fuirent à Beyrouth ou au Caire lorsque la violence éclata. Le clan Husseini installa ses milices dans la zone de Jérusalem. Près de Tel Aviv, à Jaffa, ce fut une milice concurrente, sous le commandement d’Hassan Salameh, qui prit le contrôle. Dans le nord du pays, une milice syrienne, dirigée par Fawzi al-Kaoukji, attaqua des villages juifs. Plus modérés, les Arabes d’Haïfa tentèrent, sans grand succès, de se tenir en dehors des combats.

Le manque d’unité rendit la défaite arabe presque inévitable. En outre, les cicatrices de la quasi-guerre civile des années 1930 ne s’étaient toujours pas refermées : la suspicion mutuelle et le souvenir des massacres internes gênaient la confiance et la coopération.

Le dernier échec a eu lieu en 1993, lorsque les Accords d’Oslo entre Israël et l’OLP ont établi l’Autorité autonome palestinienne sous le contrôle de Yasser Arafat. Au lieu de créer l’infrastructure du futur Etat palestinien, en transférant peu à peu diverses fonctions de l’armée israélienne à l’Autorité palestinienne, Arafat a instauré un Etat moukhabarat (services de sûreté), comme en Egypte, en Syrie, et (avant la chute de Saddam Hussein) en Irak.

Arafat et ses partisans du Fatah ont mis en place près d’une douzaine de services de sûreté concurrents - parfois indissociables des milices claniques - qui ont absorbé plus de 60 pc du budget de l’Autorité palestinienne, aux dépens de l’éducation, du logement, de l’aide sociale et de la réinsertion des réfugiés. Au milieu de ce vide a surgi le Hamas, avec son réseau d’écoles, de services sociaux, de centres communautaires et d’organisations de soutien. La prise de Gaza par le Hamas ne fut que la dernière étape de ce développement.

Il est facile de reprocher la crise palestinienne actuelle à des individus - que ce soit Arafat ou Abbas. Il est encore plus facile de rejeter la faute sur l’occupation israélienne ou la politique américaine. Pour sûr, beaucoup de gens ont des choses à se reprocher dans cette histoire. Mais tous les mouvements nationaux - en Grèce comme en Pologne, en Israël comme au Kurdistan - ont vu le jour dans l’adversité.

Les Palestiniens ont une histoire difficile à surmonter - celle de la division interne et des guerres intestines. Ils se trouvent aujourd’hui une fois de plus à un tournant décisif de leur histoire, et il ne tient qu’à eux de transcender leur tragique héritage. Personne ne pourra les aider s’ils ne parviennent pas à s’accorder sur un gouvernement cohérent, consensuel et raisonnablement uni - ce qu’Abbas lui-même appelle "une loi, une autorité, une arme."


Shlomo Avineri Ancien directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères. Professeur en sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem.


© Project Syndicate 2007 - www.project-syndicate.org- Traduit de l’anglais par Yann Champion

Publié dans MONDE ARABO-MUSULMAN

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