Danse diplomatique avec le Hamas

Publié le par shlomo

par Efraim Karsh
Jerusalem Center for Public Affairs Jerusalem Issue Briefs

Thème : Proche-Orient
  Jerusalem Issue Briefs Vol. 7, Numéro 37 paru le 30 Avril 2008

Le professeur Efraim Karsh est le directeur des Études Méditerranéennes et Moyen-orientales au King's College, de l'Université de Londres. Il est membre du conseil des experts internationaux de l'Institut des Affaires Contemporaines au Centre de Jérusalem pour les affaires publiques. Son ouvrage le plus récent est L'impérialisme islamique : une Histoire (Yale University Press, 2007).


Traduction : Objectif-info

• Le Hamas a établi "une république islamique" à Gaza au début 2006, et il est probablement en mesure de reproduire ce succès en Cisjordanie, les seuls éléments qui l'en dissuadent étant des considérations d'opportunité politique et les mesures efficaces de contre-insurrection d'Israël.

• Alors que l'espoir de voir le Hamas s'écarter d'une façon ou d'une autre de son ordre du jour génocidaire semble de plus en plus plausible aux yeux de certains observateurs, la destruction d'Israël ne fait pas partie pour lui des questions négociables, et demeure au cœur de ses préoccupations.

• Le Hamas, la branche palestinienne des Frères Musulmans, ne considère pas la lutte pour la Palestine comme un conflit politique ordinaire entre deux nations en opposition (les Israéliens et les Palestiniens), ni même comme une lutte pour l'autodétermination nationale d'une population indigène confrontée à un occupant étranger. Il estime plutôt que la Palestine est une bataille menée dans le contexte d'une guerre sainte mondiale pour empêcher la chute d'une partie de la Maison de l'Islam (Dar al-Islam) entre les mains des infidèles.

• Comme le dit le ministre des affaires étrangères du Hamas Mahmoud Zahar : "le point de vue islamique et traditionnel écarte la notion de création d'un état palestinien indépendant...Dans le passé, il n'y avait pas d'état palestinien indépendant... [Il s'ensuit que] notre but principal est d'établir un grand état islamique, qui pourrait être pan-Arabe ou pan-Islamique."

• La conviction jusqu'auboutiste du Hamas qu'il a le devoir d'être en guerre perpétuelle avec quiconque, Musulman ou non, refuse de suivre le chemin d'Allah, lui interdit de respecter les cultures, les croyances, les religions ou les principes politiques qui diffèrent des siens, et de passer des compromis sur ces sujets. Son investissement dans la violence entendue comme une obligation religieuse implique qu'il n'acceptera jamais un arrangement politique qui ne serait pas entièrement conforme à ses préceptes radicaux.


L'ancien président des États-unis Jimmy Carter était à peine rentré de sa rencontre de Damas avec Khaled Mashaal en déclarant que le Hamas était prêt à accepter l'état juif comme "le voisin de la porte à coté" quand le groupe islamiste radical a illustré sa vision de la coexistence pacifique en lançant la tentative la plus ambitieuse d'enlèvement de soldats israéliens : il a lancé deux voitures bourrées d'explosifs contre un point de passage frontalier utilisé pour l'acheminement des produits alimentaires de première nécessité et de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.

Pendant ce temps, Mahmoud Zahar, le ministre des affaires étrangères du Hamas, réaffirmait l'engagement de son organisation de détruire Israël par le biais de la démographie (c.-à-d. le "droit au retour") et faisait le serment de poursuivre "la lutte armée" contre "le crime fondamental qui est au coeur de l'état juif." Attalah Abu Subh, le ministre de la culture du Hamas, a étendu la portée de cette affirmation. "Tout ce que nous voyons dans le monde arabe et sur la terre entière, le mal provoqué par les Juifs, leurs escroqueries, leur fourberie, de leur bellicisme, leur domination du monde, leur mépris et leur dédain pour tous les peuples du monde, est basé sur les Protocoles des sages de Sion, la foi que chaque juif porte dans son coeur."

L'idée que l'implication du Hamas dans un processus politique visant à l'abandon de son objectif primordial de destruction d'Israël, lui rendrait l'espérance et réduirait sa détresse est une contradiction dans les termes. Pourtant l'espoir de voir le Hamas s'écarter d'une façon ou d'une autre de son ordre du jour génocidaire semble de plus en plus plausible aux yeux de certains observateurs. Un groupe d'anciens responsables américains appartenant aux deux grands partis et conduits par Zbigniew Brzezinski et Brent Scowcroft, a appelé à "un dialogue véritable" avec le Hamas. (1) Colin Powell, l'ancien secrétaire d'état, a déclaré l'an dernier sur la radio publique nationale qu'il fallait trouver le moyen de parler avec le Hamas. (2)

Des Israéliens ont aussi rejoint le choeur des partisans de négociations avec le Hamas. "Avant d'être entraînés à Gaza, nous devons épuiser toutes les autres possibilités," a écrit le journaliste Ari Shavit. "Nous devrions proposer un marché au Hamas : une république islamique à Gaza en échange d'une démilitarisation totale. Une vie pleine et épanouissante pour une communauté musulmane de frères, en échange de l'abandon complet de la violence et des armes."

Shavit se rend compte que sa proposition sera probablement rejetée, car le Hamas "tend à préférer la mort des Israéliens à la vie des Palestiniens." Pourtant il croit que "s'il y a une chance d'entamer une négociation franche avec le Hamas, quelle qu'elle soit, ce sera une voie que des entretiens devront explorer. Non pas une démarche illusoire sur le modèle de Carter, non pas une tactique de circonstance comme une tahdiye (trêve), mais un marché solide, passé dans des termes forts. Un pacte de rue. Un marché avec des gangsters. Un marché, cela signifie donner à ceux qui vivent de l'autre côté de la barrière une occasion véritable d'abandonner l'épée, de reprendre le Coran et de devenir de vrais voisins."

Mais pourquoi le Hamas devrait-il payer un prix quelconque pour quelque chose qu'il possède déjà ? Il n'a nullement besoin d'un consentement israélien pour établir "une république islamique" à Gaza. C'est précisément ce qu'il a fait au début 2006, au désespoir d'Israël, et il est probablement en mesure reproduire ce succès en Cisjordanie. Les seuls éléments qui l'en dissuadent sont des considérations d'opportunité politique et les mesures efficaces de contre-insurrection d'Israël. De même, il peut obtenir la paix et la tranquillité pour ses sujets à Gaza à tout moment, s'il arrête ses tirs de fusée sur les villes et les villages israéliens et ses envois de "combattants de la guerre sainte" qui se font exploser parmi les civils israéliens.

Israël n'est pas non plus en situation d'obtenir "un pacte de rue" du fait de la disparition progressive de ses actions d'éclat dissuasives depuis les années d'Oslo, et particulièrement après la fuite précipitée du sud-Liban le 24 mai 2000, qui a été le facteur déclenchant de la soi-disant "Intifada Al-Aqsa" et a inauguré la montée en puissance militaire du Hezbollah, accompagnée des nombreuses provocations le long de la frontière nord d'Israël qui ont abouti à la seconde guerre du Liban en 2006. Cette guerre, et les milliers de fusées qui se sont abattues sur les localités méridionales d'Israël pendant les huit dernières années, en dépit d'innombrables menaces de rétorsion sévère, ont donné une première idée de l'inclination des Palestiniens et des Arabes pour une "paix de gangsters."

Surtout, la destruction d'Israël n'est pas un point négociable, mais le cœur du problème. Le Hamas, qui est la branche palestinienne des Frères Musulmans, ne considère pas la lutte pour la Palestine comme un conflit politique ordinaire entre deux nations en opposition (les Israéliens et les Palestiniens), ni même comme une lutte pour l'autodétermination nationale d'une population indigène confrontée à un occupant étranger. Il estime plutôt que la Palestine est une bataille menée dans le contexte d'une guerre sainte mondiale pour empêcher la chute d'une partie de la Maison de l'Islam (Dar al-Islam) entre les mains des infidèles. Comme le dit le ministre des affaires étrangères du Hamas Mahmoud Zahar : "la vision islamique et traditionnelle écarte la notion de création d'un état palestinien indépendant...Dans le passé, il n'y avait pas d'état palestinien indépendant... [Il s'ensuit que] notre but principal est d'établir un grand état islamique, qui pourrait être pan-Arabe ou pan-Islamique."

La charte de Hamas promet qu"Israël existera jusqu'au moment où l'Islam l'anéantira," mais il présente aussi son organisation comme "le fer de lance et l'avant-garde de la lutte mondiale contre le sionisme [et] du combat contre les juifs bellicistes." Le document incite même au meurtre antisémite, en expliquant que "le jour du jugement ne surviendra pas tant que les musulmans n'auront pas combattu et tué les Juifs. Alors, les juifs se cacheront derrière des rochers et des arbres, et les rochers et les arbres s'écrieront : 'O Musulmans, il y a un juif qui se cache derrière moi, viens et tue-le.'"

Il y a plus. Selon sa charte, Hamas n'a pas été créé simplement "pour libérer la Palestine de l'occupation sioniste" ou pour éliminer les Juifs, mais pour poursuivre un but bien plus élevé : répandre le message saint d'Allah et défendre les "opprimés" dans le monde entier. "Le mouvement de résistance islamique n'épargnera aucun effort pour faire triompher la vérité et abolir le mal, en paroles et en actes, ici et en tout endroit qu'il peut atteindre et où il peut exercer son influence."

La conviction jusqu'auboutiste du Hamas qu'il a le devoir d'être en guerre perpétuelle avec quiconque, Musulman ou non, refuse de suivre le chemin d'Allah, lui interdit de respecter les cultures, les croyances, les religions ou les principes politiques qui diffèrent des siens, et de passer des compromis sur ces sujets. Son investissement dans la violence entendue comme une obligation religieuse implique qu'il n'acceptera jamais un arrangement politique qui ne serait pas entièrement conforme à ses préceptes radicaux. Comme le slogan du mouvement l'indique : "Allah est le but [du Hamas], le prophète est son modèle, le Coran est sa constitution, le Jihad est son chemin et la mort pour la cause d'Allah est son espérance suprême."

Le Hamas se voit sans nul doute comme un élément du vaste réseau des mouvements jihadistes en lutte contre l'Occident. Mahmoud Zahar a exprimé l'espoir que les victoires du Hamas à Gaza inspireront les mujahidin en Irak et en Afghanistan. D'ailleurs, Khaled Mashaal a déclaré dans une mosquée de Damas au début 2006 : "Nous disons à l'Occident, qui n'agit pas raisonnablement, et qu'il n'apprend pas ses leçons : par Allah, vous serez défaits." Il ajouta : "demain, notre nation s'assiéra sur le trône du monde." Il s'en est pris aux puissances occidentales pour leur aide aux Chrétiens persécutés de Timor et leur opposition à la campagne génocidaire du Soudan au Darfour. Le Hamas s'identifie donc à la cause mondiale de l'islamisme. (3)

Tout ceci soulève la question des répercussions du comportement de la diplomatie occidentale vis-à-vis du Hamas sur la guerre globale contre le terrorisme. En légitimant un groupe jihadiste de ce genre elle saperait assurément la lutte globale contre l'islamisme, et approfondirait les doutes de beaucoup de gens au Moyen-Orient et en Asie du sud sur la détermination de l'Occident de neutraliser la menace immédiate à laquelle ils sont tous confrontés à présent.

Le Hamas n'est manifestement pas une organisation dont l'idéologie peut être associée à un processus politique quelconque, sans qu'il sape la démocratie et empoisonne les normes de la société civile. Le Hamas n'est pas intéressé par la paix avec Israël ; en effet, Mashaal a ouvertement déclaré que toute tahdiye, ou accalmie, est en réalité "une tactique utilisée dans la conduite de la lutte." (4) Malheureusement pour les Israéliens, et aussi pour les Palestiniens, ce n'est pas quelque chose qui peut être changé par les experts de bonne foi qui prennent leurs désirs pour des réalités, ni par les anciens présidents américains.

* * *

Notes

1. Glenn Kessler, "Les acteurs du Moyen-Orient divergent sur l'approche du Hamas," Washington Post 16 mars 2008, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2008/03/15/AR2008031502122.html.
2. Ibid.
3. Lieutenant colonel (réserve) Jonathan D. Halevi, "Comprendre la direction du nouveau gouvernement Hamas : entre le pragmatisme tactique et le jihadisme d'Al Qaïda" Jerusalem Issue Brief, vol. 5, numéro 22, 6 avril 2006, http://www.jcpa.org/brief/brief005-22.htm.
4. "Le chef du Hamas considère la trêve comme une 'tactique'" Associated Press, 27 avril 2008.



Publié dans TERRORISME

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